QUATRIEME ET DERNIERE PARTIE : La République des prête-noms
Durant l’été 2003, la presse [22] publie des dossiers accablants de spoliations par les plus hauts sphères de l’État. Le ministère des Affaire étrangères a été dépouillé de son patrimoine foncier, Abdelaziz Bouteflika se taillant un part de lion avec, parmi « quatre villas, plusieurs appartements et des immeubles appartenant à la Présidence », la villa Ali-Chérif de 9000 m2, boulevard Mohamed Bouagara. Achetée en 1991 à 20 DA (soit 0,20 €) le m2, sa valeur est aujourd’hui estimée à 5 millions d’euros. Autres bénéficiaires de ce dépeçage méthodique, Ahmed Ouyahia (a acheté au dinar symbolique une villa cédée par l’ambassade de Yougoslavie), Ahmed Attaf (une villa près de l’ambassade des USA qui a coûté 5 milliards de centimes à l’État), Ahmed-Taleb Ibrahimi et nombre d’autres « personnalités », les cessions se faisant souvent « sur interventions personnelles de Larbi Belkheir, sur simple coup de téléphone, et Mohamed Betchine. » Ces spoliations ont, comme chaque fois, une cascade d’incidences fâcheuses : en reprenant ces résidences des mains des missions diplomatiques étrangères, les ambassades d’Algérie dans les pays correspondants sont maintenant obligées de louer à prix d’or les locaux qu’elles occupaient jadis gracieusement. L’opposition assiste à cette razzia dans une quasi-indifférence. Ahmed Ouyahia, chef du RND, quant à lui « ne demande pas seulement la vente des terres, mais plus encore, il milite pour leur privatisation [23] »... Bouteflika le nomme derechef Premier ministre ! Razzia sur les ressources naturelles Sonatrach incarne la dernière présence algérienne dans le Sahara. Quelque contrôlée que soit cette société, son personnel algérien constitue un témoin gênant contre les spoliations à grande échelle qui s’y déroulent. Un témoin dont les dirigeants algériens n’ont eu de cesse de vouloir se débarrasser. En plaçant un malade en phase terminale de cancer comme PDG de Sonatrach, le ministre de l’Énergie et des mines Chakib Khelil garde la mainmise sur cette société, vouée selon lui à la privatisation, et préside à son démembrement. Tandis qu’il prépare les textes et travaille au corps l’APN pour faire adopter une loi sur les hydrocarbures, Nouredine Boukrouh, ministre de la Participation et de la coordination des réformes, assure la pédagogie du dossier : « Les Algériens, dit-il, interprètent mal la notion de privatisation et croient qu’elle est le contraire de la nationalisation. Il faut la démystifier et la désacraliser. Ce n’est qu’une modalité et non un idéal. Il faut également bannir les attitudes frileuses et éviter les prismes idéologiques. [...] La privatisation est la seule voie possible. L’État ne peut plus supporter les lourdes charges liées à l’assainissement des entreprises déficitaires [24] ». Cette société qui doit dégager des bénéfices colossaux serait donc simplement... déficitaire. Mais, à y regarder de près, on constate que le « déficit » de Sonatrach est inscrit dans le cahier des charges de ses dirigeants, qui s’évertuent à la ruiner, au bénéfice de sociétés privées, telle Brown Root&Condor (BRC, filiale du groupe Haliburton, anciennement dirigé par Dick Cheyney), qui croule sous les contrats tous plus douteux les uns que les autres, après avoir « fait faillite à travers plusieurs pays. Elle s’est installée [...] avec la bénédiction de Chakib Khelil, qui lui a offert le premier contrat, avec une participation de Sonatrach à 50 %, pour financer un projet de construction de logements Cnep qui n’a pas jusqu’à aujourd’hui vu le jour. » Parmi les innombrables arnaques où la Sonatrach est chargée en bout de course de régler la facture, celle de « deux tourelles construites par l’entrepreneur Chabani, ami de Belkheir, en difficulté de paiement, [qui] a offert de les vendre. »Desopérateurs,tellela CAAR à 250 milliards de centimes, ont refusé le prix fixé par Chabani ; elles seront finalement acquises le double par Sonatrach, transaction opérée avec Chakib Khelil, dans l’illégalité la plus absolue. « Achetées en l’état à 420 000 DA le m2, elles nécessiteront 320 000 DA le m2 pour leur finition (contrat confié à BRC, évidemment), pour un coût total de 740 000 DA le m2, soit plus de dix fois le prix réel. [25] » « BRC a pu intervenir sur le projet d’Aïn-Oussera puis à construire, pour le ministère de la Défense, deux hôpitaux militaires à Oran et à Constantine, ainsi que deux ensembles sportifs et des logements. » C’est aussi BRC qui réalise l’extension de la piste de l’aéroport de Tamanrasset pour permettre l’atterrissage de gros porteurs américains [26]. Spécialisée dans l’engineering, BRC est rapidement devenue en Algérie une société qui fait tout : pétrole, béton, transport aérien, services... Et si BRC peut saigner à ce point la Sonatrach, c’est qu’elle sait redistribuer ses prébendes : « BRC, c’est une poule aux œufs d’or autour de laquelle tourne beaucoup de monde : les amis de Chakib Khelil, bien sûr, le clan du président [Bouteflika], évidemment, mais aussi une société aérienne privée [Aigle Azur], des dirigeants de l’UGTA, d’honorables responsables militaires, des pontes du FLN, le fils de Zerhouni, des ministres. [...] Moumène Ould-Kaddour [patron de BRC] mène une vie de Pacha, [...] et passe ses soirées et ses week-ends au Sheraton [...], en famille avec Chakib Khelil et Réda Hemche », directeur de la cellule sponsoring de Sonatrach et consultant à la BRC. Les factures du Sheraton seraient effrayantes, « mais c’est Sonatrach qui paye [27] ». Le budget sponsoring de Sonatrach est colossal. S’il sert pour l’essentiel à payer les factures laissées par les ministres dans les hôtels de luxe parisiens, à seconder le groupe Khalifa pour arroser les médias français et le monde du show-business dans le cadre de l’Année de l’Algérie en France, etc., les journaux algériens ne sont pas délaissés. Et lorsque Sonatrach y achète à répétition des doubles pages [28] , c’est pour vanter les mérites... de la loi sur les hydrocarbures ! Les arguments de Chakib Khelil sont entendus : « préserver l’intérêt de la nation [29] », jurera-t-il : « Le seul objectif sera de créer de la richesse pour la collectivité nationale dont l’État est l’émanation, et il n’est question ni de privatisation, ni de restructuration, ni de démembrement de Sonatrach dans la nouvelle loi des hydrocarbures. Non seulement les acquis des travailleurs seront maintenus, mais nous travaillons toujours à améliorer leurs conditions de travail et à créer de nouveaux postes de travail. Je demande à tous les travailleurs, chacun à son poste, de redoubler d’effort et de m’aider à atteindre cet objectif pour le bien-être de tous les citoyens de notre cher pays. »
En guise de bien-être, il y a, selon Inès Chahinez, celui de « Chakib Khelil et Réda Hemche par exemple, [occupés à] dilapider 10 milliards par mois en pots-de-vin politiques ; ou, plus grossier mais plus gracieux, comme Khalida Toumi qui distribue individuellement aux artistes des chèques de 500 000 dinars » pour en faire des VRP de Bouteflika. Les arguments faussement « nationalistes » de Chakib Khelil ne bernent personne, pas même Abdelmadjid Sidi-Saïd, le chef de l’UGTA, qui, devant l’énormité du sacrifice à bénir, se braque en déclarant que « la démarche entreprise par les autorités du pays, afin de confier la gestion du secteur des hydrocarbures aux multinationales étrangères, est dictée exclusivement de l’étranger ». Il décrit « la tentative de vendre les richesses pétrolières du pays comme un acte de haute trahison envers la nation » et affirme que « si nous sommes dans cette situation, c’est parce que nos gouvernants son vendus [30] ». Démagogie ? Lors de son passage à Alger, fin 2002, le Secrétaire d’État américain au Commerce, Marc Bodman s’est autorisé de dire : « Il faut que cette loi [sur les hydrocarbures] soit adoptée ». Face à la fronde, Chakib Khelil fait mine de renoncer au projet, pour mieux revenir à la charge en septembre 2004, une fois Bouteflika réélu, et constater « qu’il n’est pas normal, du point de vue économique, de continuer d’obliger le groupe Sonatrach à s’occuper de projets qu’il estime non rentables comme le transport par canalisations. [31] » On voit mal ce qui, « du point de vue économique », peut pousser des investisseurs privés à reprendre à la Sonatrach ces projets « non rentables », sinon pour ôter aux Algériens tout moyen de contrôle sur les volumes « transportés ». Bref, que cela passe par la cannibalisation du marché de l’importation, par le pillage des banques, par l’accaparement de la rente pétrolière, par la spoliation des domaines publics, par la dilapidation des biens et des entreprises publiques ou par quelque activité lucrative que ce soit, seule la loi du milieu compte et les bénéficiaires se recensent parmi un noyau dur aux effectifs réduits : Larbi Belkheir, Toufik Mediene, Smaïn Lamari, disposant d’un vivier inépuisable de prête-noms, secondés par des hommes dénués de scrupules, qu’ils aient pour nom Bouteflika, Khelil, Benachenhou, Ouyahia, Barkat, Temmar, Zerhouni, Tounsi, ou autre, pour concrétiser sous couvert des institutions les pires prédations...
Tels sont les principaux « partenaires » algériens du « partenariat d’exception » que projette Jacques Chirac avec l’Algérie. Un partenariat avec la micro-colonie du Club des pins, un État malfaisant, qui livre son pays au dépeçage foncier, financier, social, économique, culturel... Car, les 30 millions d’Algériens ne sont évoqués dans les discussions bilatérales que pour trouver les moyens de les empêcher de grossir les rangs des « clandestins » en France, et pour ceux qui y sont déjà, de les renvoyer en Algérie sans créer de vagues. Pour ceux-là, le partenariat d’exception s’apparente à celui du racketteur avec des rackettés : ou ils se taisent et meurent en silence, ou ce sera encore pire pour eux [32], les recours auprès de qui ils peuvent se tourner étant eux-mêmes receleurs du racket, une bonne part de la manne détournée alimentant les alliés étrangers de ce dépeçage méthodique, des personnalités politiques, médiatiques, diplomatiques, du monde financier, policier, d’institutions internationales, etc. Nous l’avons vu, si la caution judiciaire est souhaitable pour cette rapine, elle n’est pas une nécessité absolue : un simple barbelé et des gendarmes suffisent à tenir en respect les paysans spoliés sur le littoral algérois. Le Sahara présente quant à lui un double inconvénient. Le rapt des ressources naturelles exige un cadre législatif explicite et cette vaste étendue est difficile à contrôler. Le ministre des Finances Abdelatif Benachenhou et celui de l’Énergie et des mines Chakib Khelil s’emploient à faire adopter (au nom des Algériens) les lois qui font perdre aux Algériens la souveraineté sur le Sahara. Quant à la sécurisation de ce territoire, qui de mieux alors pour y veiller que le gendarme du monde par excellence : les États-Unis d’Amérique ?
MOUH
FIN