A l’appel du groupe « Bezzzef ! », un rassemblement pacifique devait se tenir ce mercredi 2 juin, devant l’ambassade des Etats-Unis, à partir de 11h, pour dénoncer l’attaque de la Flottille de la Liberté et le silence complice de l’administration américaine devant cet énième carnage.
Il était 10h25 quand j’ai débarqué à la placette du 11 septembre (ainsi baptisée en hommage a Salvador Allende, mort le 11 septembre 1973 sous les balles de Pinochet avec la complicité de la CIA). Ladite placette est située à hauteur du carrefour de la Colonne-Voirol. J’ai fait un petit tour histoire de jauger la présence policière. Celle-ci était surtout concentrée autour du commissariat du coin. En musardant du côté du Pont de Hydra, je croise un type qui m’interroge sur le rassemblement en question en m’assurant qu’il y serait. Et il a tenu parole. Sauf qu’il s’avèrera que c’est un mec des RG…Sinon, pas âme qui vive. Mobilisation ratée. A 10h50, je prends « position » à la Placette du 11 septembre, affublé d’un t-shirt floqué d’un dessin de Nagui El Ali et d’un keffieh. Un accoutrement qui annonce déjà la couleur et qui me vaut quelques regards suspicieux de la part de policiers en faction. A 10h55, je fonce en direction de l’ambassade des Etats-Unis. Les agents de police qui pavaient le chemin qui monte vers Poirson étaient intrigués, mais comme on ne peut pas interpeller quelqu’un juste parce qu’il arbore un keffieh palestinien, on me laissa passer, si bien que je pus atteindre sans encombre l’ambassade US. Chemin faisant, je croise Sofiane Baroudi, un activiste plein d’entrain qui était là depuis un moment, lui aussi. On gagne ensemble le site ciblé. A quelques mètres de l’ambassade, je sors de mon sac vite fait une pancarte sur laquelle j’avais griffonné quelques slogans de circonstance : « OBAMA + CLINTON = ARIEL SHARON », « ALGER-GHAZA MEME COMBAT », « KOULLOUNA GHAZA », « BEZZZEF ISRAËL », « BEZZZEF T’HINE ! »…Il y avait également un dessin fort pertinent de Ali Dilem montrant deux drapeaux, l’un est celui de la Palestine, l’autre représente un pantalon, allusion aux pantalonnades en série des régimes arabes.
J’ai donc brandi ma pancarte et ses slogans recto-verso, et tout de suite ce fut la panique au niveau de la cabine vitrée de l’imposant bâtiment en verre de l’ambassade, et où fourmillaient des agents de sécurité. Ils devaient imaginer le pire en voyant ma main farfouiller dans mon sac à dos, sous leur regard incrédule... Mais les cerbères postés aux abords de la plus grande chancellerie étrangère n’iront pas jusqu’à dégainer leur flingue. Ouf ! Mon action durera quelques minutes (quand même), avant que les premiers flics se ruent vers Sofiane et moi pour nous « neutraliser ». S’ensuivit une chamaillade et des échanges assez vifs. En pareille situation, j’avoue qu’il n’est pas très difficile de « neutraliser » un flic algérien : il suffit de lui rappeler que s’il réprime une action de solidarité avec la Palestine, il devient de facto un agent (objectif) de l’entité sioniste et ça, ça fait très mal. Aussi, les policiers me signifièrent-ils d’emblée leur soutien de cœur à Ghaza.
Plusieurs officiers accoururent pour s’enquérir du sujet de tout ce raffut. L’un d’eux m’explique : « On n’a rien contre votre action mais voyez-vous, c’est un périmètre ultra sensible. Imaginez que quelqu’un se cache derrière vous et se fasse exploser ! » Il y avait Khalef Mahiédine, l’ancien entraîneur de l’Equipe nationale (c’est son quartier en fait) qui discutait gentiment avec des policiers, et qui suivait cela d’un regard perplexe. Après d’autres empoignades verbales, on m’invita à monter dans une voiture de police. Un officier en civil m’expliqua avec force insistance, à grand renfort de sémantique et de bons sentiments, qu’il ne s’agissait nullement d’une interpellation mais d’une simple opération de routine. « On va juste vous inviter à un café » me dit-il poliment. Inviter. Tiens, c’est curieux comme ce mot revient dans la bouche de la police. Quand on a été arrêtés, Hakim Addad, Adlène Meddi, Saïd Khatibi et moi-même à proximité du siège de l’ENTV le 3 mai dernier, ils avaient usé du même vocabulaire : « on vous invite au poste… ». Et ils désignaient les journalistes que nous étions sous le sobriquet de « Juliette ». Eh bien, cette-fois ci encore, ils tenaient à mettre les formes avec, oui, ce souci tenace, comme je le disais, de ne pas passer pour des auxiliaires de l’armée sioniste en venant réprimer des militants pro-palestiniens. Aussi insistaient-ils à souligner que sur le fond, ils partageaient totalement notre point de vue mais que les ordres, c’étaient les ordres, et qu’on ne badine pas avec la sécurité de la représentation diplomatique la mieux gardée d’Alger.
Quelle ne fut ma surprise de me voir convié pour de vrai à un café. Car, au lieu qu’elle s’engouffre dans je ne sais quel commissariat, la voiture de police s’est arrêtée devant une pizzeria située en face de la Présidence de la République, près du ministère des AE. Et cette pizzeria s’appelle… « Freedom », « Liberté », comme la flottille humanitaire qui vient d’être massacrée par les marines israéliens.
Ainsi, mes deux accompagnateurs tinrent absolument à me payer un café en se disant mes « frères », et j’ai consenti de bon cœur à prendre une bouteille d’eau fraîche parce que je commençais à avoir soif. L’entretien dura environ une demi-heure, un peu plus. Les deux policiers firent preuve d’une grande amabilité. A un moment donné, un adjudant débarque et l’officier lui dit : « Retournez voir ce qui se passe, et pas d’interpellation. Conduisez-vous gentiment, d’accord ? » L’homme se retourne vers moi, et, me prenant à témoin, il me fait : « Vous voyez ? Ce sont là mes consignes. » Et de m’expliquer que cette petite intrusion dans le périmètre de sécurité de l’ambassade états-unienne aurait pu mettre la police algérienne dans le pétrin : « Imaginez qu’un attentat soit commis dans la foulée ?» renchérit-il à son tour. L’homme m’expliqua ensuite que je faisais l’objet d’un simple « examen de situation » pour savoir un peu qui j’étais, quel était le sens de mon action, et surtout, pour s’assurer que je ne nourrissais pas de desseins louches façon « kamikaze potentiel ». Pour finir, il me conseille de me joindre à l’initiative de Belkhedem et de Hamas et à manifester dans le cadre tracé par la sacro-sainte légalité. Je suis libéré sur cette note douillette, et la même voiture de police me déposa…chez moi.
Vous l’aurez compris : c’est la version « light » de la police algérienne. Toujours est-il qu’il est interdit de manifester spontanément à Alger, et que pour obtenir une autorisation en règle pour la moindre petite action publique, il faut…euh…rêver…Hier, un rassemblement similaire qui devait se tenir à Oran, a été gâché par la flicaille, c’est dire.
A signaler que mon ami Sofiane Baroudi a été appréhendé après moi, avant d’être relâché. Notons également que la circulation aux abords de l’ambassade US et de la Colonne Voirol était sensiblement contrôlée selon des témoins, et que les rôdeurs étaient vite priés de déguerpir. Bientôt, il nous faudra une autorisation expresse de Zerhouni pour être en colère même chez soi…
Mustapha Benfodil
Membre fondateur du groupe « Bezzzef ! »