Les fréquents déplacements de Daho Ould Kablia et les décisions rapides qu’il a prises pour redresser une situation, jugée chaotique, créée par son prédécesseur sont compris par les Algériens comme une « dézerhounisation » de la vie publique. Les observateurs de la scène nationale tablent à l’avenir sur moins de verrouillage des activités partisanes et une meilleure approche des libertés politiques et syndicales. Propulsé ministre de l’Intérieur à la faveur du dernier remaniement ministériel, le successeur de Zerhouni, doit-on en convenir, a du pain sur la planche. Car la mission principale de Daho Ould Kablia, détrompez-vous, n’est pas tant de « pacifier » une Algérie déjà largement « fliquée », mais plutôt de liquider le lourd héritage de l’ancien numéro 2 de la Sécurité militaire. Force est de constater qu’en dix ans de « zerhounisme », l’Algérie a considérablement régressé au chapitre des libertés collectives et individuelles, et ce ne sont pas les efforts consentis par M. Ould Kablia en termes de « com » qui vont chasser cette image de « pays fermé » qui nous colle à la peau.
L’agenda du nouveau ministre de l’Intérieur, il faut le dire, est chargé. M. Ould Kablia multiplie depuis quelque temps les réunions avec les walis en commençant par ceux des grandes villes, à savoir Alger, Constantine et Oran. Longtemps confiné dans le rôle de « Monsieur collectivités locales » dans le dispositif présidentiel, le gouvernement semble miser sur sa fine connaissance des ramifications de l’administration locale, pour hisser son cœfficient de popularité. Personnalité réservée, de profil plus « technocratique » que politique, dans le « subconscient » du gouvernement, M. Ould Kablia serait ainsi celui qui apporterait des correctifs à la gestion « Zerhouni », marquée tout au long de ses dix ans de « règne » par des bourdes monumentales. Son plus grand tort reste évidemment sa vision fondamentalement « policière » de la société. Sa gestion des événements de Kabylie, son verrouillage systématique de la vie partisane, syndicale et associative par l’interdiction systématique de toute nouvelle formation, son hermétique quadrillage de l’espace public, comme c’est le cas à Alger où depuis la marche historique du 14 juin 2001, toute manifestation de rue est prohibée, l’interdiction à certaines personnalités « hostiles » et autres opposants étrangers de fouler le sol national, comme ce fut le cas récemment avec l’opposante tunisienne Sihem Bensedrine, autant de faits qui donnent une image peu glorieuse des « années Zerhouni », même si l’on sait que la responsabilité est partagée au sommet, le pouvoir étant cosolidaire dans ses dérives totalitaires.
Les derniers jours de Zerhouni (avant d’être « promu » vice-Premier ministre, un poste flou pour le moment, une voie de garage selon certains) auront été marqués par le matraquage des enseignants grévistes et autres catégories sociales frondeuses, l’interdiction à peine masquée du 3e congrès de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme et la fermeture d’un espace symbolique aussi emblématique que la Maison des syndicats. Comment occulter, dans la foulée, l’affaire de la carte d’identité et du passeport biométriques et leurs 15 kilos de paperasses ineptes ? Il faut dire qu’avec cet épisode, la « bureaucratie policière » avait atteint le summum de sa sophistication et de sa bêtise. Last but not least : l’histoire retiendra que c’est sous le règne de Zerhouni que le DGSN, Ali Tounsi, a été assassiné, et l’on se souvient, là encore, de la confusion à laquelle ses déclarations brouillonnes et embarrassées ont donné lieu. Voilà donc en quelques mots le challenge de Ould Kabilia. Pour si peu que l’Exécutif ait réellement un souci de feed-back et un minimum d’inquiétude à se faire quant à son style de gouvernance et sans vouloir être naïfs, il y a lieu de croire que l’une des missions de Ould Kablia serait de « dézerhouniser » l’administration et donner d’elle une image moins sombre.
Déjà, Ould Kablia s’est attelé à démanteler la complexe bureaucratie sécuritaire montée autour du passeport biométrique en allégeant la procédure de son obtention. Pour la gouvernance locale, il a annoncé depuis Oran une « charte de l’éthique » pour les walis en exhortant les préfets de la République à plus de transparence et à plus d’ouverture et de communication sur leur gestion. Aura-t-il l’audace, le désir, le projet, et surtout, les coudées franches pour soulager les Algériens du poids du « zerhounisme », ne serait-ce qu’en supprimant quelques barrages parfaitement inutiles et ne servant qu’à resserrer l’étau sur des vies déjà assez tenaillées comme cela ? Nous ne nous faisons, évidemment, aucune illusion à ce propos. Mais souhaitons tout de même que les prochains jours ne donnent pas tout à fait raison à notre réalisme…
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