La Cimade, association de soutien aux migrants recueille depuis des années des témoignages d'étrangers égarés dans l'univers kafkaïen de la délivrance du visa. Elle vient de publier une étude sur les pratiques des consulats français en matière de délivrance des visas en Algérie, Sénégal, Mali, Turquie, Ukraine et Maroc.
Le précieux sésame, délivré par un consulat, permet d'entrer en France pour un court ou long séjour, pour faire du tourisme, des études ou rejoindre de la famille... « Il s'agit d'un droit fondamental, celui de la libre circulation, rappelle Mickaël Garreau, de la Cimade, qui a séjourné dix jours en Ukraine. Il y a des personnes qui ne peuvent pas venir assister à un enterrement ou rejoindre un conjoint. »
A partir des chiffres fournis par le comité interministériel au contrôle de l'immigration et d'après les missions d'observation effectuées dans six pays différents (Mali, Sénégal, Ukraine, Maroc, Tunisie et Algérie), la Cimade dresse un constat sévère, notamment dans les pays africains. Il montre que les critères de délivrance des visas sont très hétérogènes suivant les pays. Il existe peu de textes réglementant cette procédure. La loi n'oblige pas par exemple à motiver les refus, ce qui donne à certains déboutés un sentiment d'arbitraire. Les informations données aux étrangers pour constituer leur dossier sont souvent parcellaires, parfois inexistantes, au point que de plus en plus de réseaux parallèles informels se sont mis en place, qui monnayent cher leurs services. Sans compter la corruption de certains agents consulaires, déjà pointés du doigt par un rapport du Sénat en 2007.
Des délais très variables
Les pièces exigées pour constituer son dossier peuvent aussi varier. Le consulat du Mali exige par exemple pour les conjoints de Français des justificatifs relatifs aux ressources du conjoint, à son logement, alors que seules les vérifications d'absence de fraude et de menace à l'ordre public sont normalement nécessaires. Quant aux délais de délivrance, ils peuvent être très variables d'un pays à l'autre. En moyenne, la délivrance d'un visa de court séjour est de 12,3 jours lorsque son instruction nécessite une consultation des services administratifs, mais elle peut atteindre plusieurs mois dans certains endroits. En Ukraine, les délais sont jugés trop longs par bon nombre d'hommes d'affaires qui ont besoin de faire des séjours réguliers en France, et parfois dans l'urgence. En outre, certains consulats suspendent automatiquement l'instruction de la demande de visa pendant huit mois, qui est le délai maximal, notamment dans les cas d'immigration familiale.
Consulat bunker
Car le visa est devenu un élément-clef de la politique d'immigration. « On soupçonne chaque demandeur de vouloir s'installer en France », analyse l'association. En 2008, 2,3 millions de visas ont été délivrés. Environ 10 % des demandes sont refusées, sans que cela soit forcément motivé. Un chiffre qui cache de grandes disparités en fonction des pays.
« Le constat est accablant », affirme Mickaël Garreau. Pour solliciter un visa, il faut déjà accéder au consulat. Un lieu transformé en « bunker ». Dans certains pays, il faut acheter une carte spéciale pour joindre un centre d'appel qui fixe les rendez-vous dans des délais parfois longs. Des consulats sous-traitent aussi une partie du travail. « Où est la confidentialité quand ce sont des ressortissants du pays qui enregistrent les demandes ? », interroge la Cimade.
L'association pointe aussi « l'argent qu'il faut verser et qui n'est pas remboursé, même si la demande est refusée, et le flou complet des documents à produire dont la liste ne cesse de changer » : justificatifs de ressources, photo avec l'ami qui vous accueille en France, facture prouvant des communications fréquentes vers Paris... En fonction de la nationalité du demandeur et de son statut, certains obtiennent un visa en 48 h, d'autres attendent une réponse durant des mois.
Riwanon Quéré, militante à la Cimade, a été frappée à Kiev par « l'image singulièrement dégradée de la France. Des hommes d'affaires préfèrent aller vers d'autres consulats, comme celui de l'Allemagne ».
« Avec la crise actuelle et le chômage en France, il ne faut pas rêver. On va continuer à refouler les sans-papiers ; les visas de travail pour la France seront délivrés au compte-gouttes. C’est pourquoi nous préférons nous tourner vers les États Unis », commente un jeune diplômé sénégalais.
A lire ou télécharger sur le site de la CIMADE :
Première partie du rapport, Analyse des politiques publiques et des pratiques consulaires
Deuxième partie, Rapports de mission (Mali, Maroc, Sénégal, Ukraine, Turquie, Algérie).