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Lettre d’un Africain perplexe à Barack Obama

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Cette lettre est arrivée au bureau du président Obama, par le canal diplomatique.

Monsieur le Président,

Il se dit, depuis le sommet du G 8, que vous caressez le projet de recevoir en août, à Washington, 18 chefs d’Etats africains pour fêter les 50 ans d'indépendance de leurs pays. A entendre vos conseillers, il serait question de « débattre de l’avenir avec ces jeunes dirigeants d’Afrique ».
Croyez-nous, Monsieur le Président, pas un seul des peuples du continent, du Nil au mont Nyangani, des montagnes du Djurdjura au massif du Chaillu, du Rif au fleuve Ogooué, oui, pas un seul des peuples d’Afrique ne manquerait d’applaudir à cette généreuse initiative si, par bonheur, vous arriviez à dénicher 18 « jeunes dirigeants »  soucieux de se projeter vers le futur.
Mais, vous le savez, dans ce continent on ne quitte le pouvoir que pour le cimetière. L’Afrique – et je le vois dans mon pays, l’Algérie -  n’est que le vaste territoire d’une tyrannie endurcie, un continent interdit aux nouvelles générations, otage de vieux potentats grabataires et de quelques potentats en devenir, un continent fermé à l’alternance et à la démocratie, où l’on se demande encore à quoi pourrait bien ressembler l’indépendance, une contrée où les gamins naissent et grandissent dans l’intolérable différence entre les humains, dans un monde maudit,  le monde du malheur de naître et de mourir prosterné, condamné à quémander un répit, un vrai souffle d’amour, un instant de dignité… Un monde que leurs pères croyaient avoir aboli. Le monde qu’a vaincu Rosa Parks, la marraine du miracle qui vous a fait président. Mais un monde qui s’éternise pour nous…
A quelle oreille escomptez-vous  adresser votre « débat sur l’avenir » ? A celle de ces tyrans pittoresques et cyniques, ces monarques archaïques qui règnent par la terreur et la corruption et à qui s’adressait déjà votre discours d’Accra : « Aucun pays ne peut créer de richesse si ses dirigeants s’enrichissent personnellement » ? A celle de Ben Ali qui vient d‘emprisonner son énième journaliste ? Ou à celle de ces treize autres autocrates africains dont la célèbre revue de New-York, Foreign Policy classe parmi les vingt-trois plus grands dictateurs de la planète : Teodoro Obiang Nguema, Hosni Moubarak, Robert Mugabe, Omar el-Béchir, Issayas Afewerki, Mélès Zenawi, Mouammar Kaddafi, Idriss Déby…. Vous ne parlerez pas du même cinquantenaire. Vous êtes la créature d’un triomphe historique sur la haine, le triomphe de Rosa Parks la couturière de Montgomery qui refusa de céder sa place à un homme blanc dans un bus. Assez des lois raciales, assez de l’humiliation ! « That it was the very last time that I would ever ride in humiliation of this kind ». Vous êtes la créature d’un triomphe historique sur la haine. Ils sont les artisans et les légataires de la haine.
A quoi bon leur redire votre crédo d’Accra : « Le continent n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions » ? Ils ont désespéré Tocqueville ; ils désespéreront Rosa Parks. Ils ont désespéré Tocqueville qui préconisait que «  le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui  », eux qui, deux siècles plus tard, persuadent toujours nos peuples de ne pas se passer d’eux.
C’est comme une malédiction, Monsieur le Président.
En un demi-siècle, l’Amérique a changé de couleurs. Rosa Park a triomphé. Vous êtes là : Premier Noir élu président des Etats-Unis.
Après un demi-siècle, l’Afrique n’a toujours pas changé de pouvoir. Eux, ils sont toujours là.
La ségrégation raciale a abdiqué, mais pas les oligarchies d’Afrique.
Oui, c’est comme une malédiction. Songez, Monsieur le Président,  qu’à votre naissance, en 1961, l’actuel président algérien Abdelaziz Bouteflika était déjà capitaine de l’Armée, chargé de fomenter le premier coup d’Etat de la future Algérie indépendante ; songez que deux ans plus tard, l’année du discours du révérend Martin Luther King, « I have a dream », M. Bouteflika était déjà ministre des Affaires étrangères,
Vous aviez 2 ans
M. Bouteflika en avait 26.
Songez qu’au rétablissement des droits des noirs, lors du « Civil Rights Act » et du « Voting Rights Act » sous la présidence de Lyndon B. Johnson, l’actuel président Bouteflika avait déjà provoqué son deuxième coup d’état contre Ahmed Ben Bella.
Vous aviez 4 ans.
M. Bouteflika en avait 28
Et songez qu’à votre  investiture pour le Sénat, en 2004, il venait de réussir son troisième putsch contre son adversaire aux présidentielles, et qu’à votre victoire contre Mac Cain, le 4 novembre 2008, l’actuel président Bouteflika viola la Constitution pour rester au pouvoir.   
Vous aviez 47 ans.
Premier Noir élu président des Etats-Unis.
Abdelaziz Bouteflika en avait 72.
Troisième dictateur le mieux élu dans le monde, juste derrière Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, (Guinée Equatoriale) et  Noursoultan Nazarbaïev (Kazakhstan), mais devant Robert Mugabe (Zimbabwe) et Omar Hassan el-Béchir du Soudan.
Depuis, j’entends parfois mon compatriote se confier à la mer : « I have a dream… »
Si vous recevez M. Bouteflika, vous briserez ce rêve.

Si vous recevez ces autocrates, Monsieur le Président, vous les laverez de leurs péchés et ils vivront cinquante autres années de votre absolution.
Vous ferez pleurer nos Rosa Parks, Mandela et Lumumba.
Ecoutez plutôt l’Africain qui rêve et qui se bat.
Vous le savez, aujourd’hui, monsieur le Président : on ne peut rien contre un homme qui rêve et qui se bat.
Lui seul saura vous raconter l’avenir.
Cet homme existe, monsieur le Président. Il est vivant. Il est dans les geôles des potentats, parfois en exil, souvent traqué, ignoré, mais vivant. Il représente les sociétés civiles de l’Afrique muette.
Ecoutez-le, monsieur le Président.
Lui seul saura célébrer l’anniversaire des indépendances africaines.
Je vous prie de croire, monsieur le Président, à ma plus haute considération.

Mohamed Benchicou

Cette lettre est arrivée au bureau du président Obama, par le canal diplomatique.

Commentaires

  • Plus un symbole qu'un président à mes yeux, il incarne le renouveau, un symbole de lutte contre les discriminations. Or c'est tout à fait dans ce sens qu'il a été nommé prix nobel de la paix ... Cependant j'attends toujours des choses plus concrètes de sa part.

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