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Fuite des cerveaux et des capitaux : Le Canada courtise l’élite algérienne


Fuite des cerveaux et des capitaux : Le Canada courtise l'élite algérienne

C’est une lettre circulaire, frappée de la mention « personnel et confidentiel », reçue par maints industriels algériens bien établis. En résumé, voilà le message qu’elle délivre à ses destinataires : « Scotia McLeod, membre du groupe Banque Scotia, en collaboration avec le gouvernement du Canada, aimerait vous intéresser au programme des immigrants investisseurs. Parmi ses nombreux avantages, ce programme permet d’obtenir pour l’investisseur ainsi que sa famille immédiate la citoyenneté canadienne ». Après avoir vanté les mérites de la patrie de l’érable que « les Nations unies classent régulièrement au nombre des trois meilleurs pays du monde pour la qualité de vie », le rédacteur du courrier dévoile ses batteries : « Si vous avez des actifs personnels nets de US$ 700 000 ou plus, permettez-nous de vous démontrer comment l’expérience canadienne peut améliorer votre réussite personnelle et professionnelle. »



Le document précise les modalités un plus loin : « M. X, un des représentants de TIMC Inc. fera prochainement un séjour à Alger. Si vous souhaitez connaître les détails de notre programme, veuillez nous communiquer vos coordonnées afin que nous organisions une rencontre privée en toute confidentialité. »

On savait les Canadiens friands de cadres algériens aux compétences affûtées. Voilà qu’on les découvre courtisant les princes de la finance. Et plutôt deux fois qu’une : l’homme d’affaires, industriel bien connu, qui nous a remis une copie de ce courrier, assure l’avoir reçue à deux reprises… C’est le cas également de beaucoup de ses amis qui opèrent dans divers secteurs de l’économie. De là à déceler une offensive canadienne pour débaucher les capitaines d’industrie algériens, il n’y a qu’un pas qui semble tentant de franchir. Quitte à s’interroger au passage, sur la légitimité d’une démarche menée ainsi en catimini. Sollicités par nos soins, les services de l’ambassade canadienne à Alger (voir l’entretien ci contre) affirment ne rien connaître de cette lettre qui a été envoyée à des investisseurs algériens pour les inviter à s’installer au Canada. Quid de Scotia McLeod ? C’est une division de Scotia Capitaux Inc. Gérant un actif de plus de 280 milliards de dollars, elle représente la filiale spécialisée de la Banque Scotia dans le domaine des services bancaires d’investissement. Nous avons adressé un courriel à son conseiller principal en gestion du patrimoine. Celui-là même qui a signé la missive adressée aux opérateurs algériens, pour savoir s’il a réussi à convaincre plusieurs de nos businessmen de s’installer au Canada. Réponse très diplomatique du courtier. Jugez-en : « Nous aimerions vous informer que notre programme constitue une démarche de développement international, donc un processus très long et nous n’avons pas encore des statistiques prêtes à propos de ce sujet. Nous espérons recevoir des nombres précis d’ici la fin de l’année prochaine qui vont rester sans publication pour des raisons de confidentialité de la clientèle. Merci pour votre compréhension. »

En fait, à l’heure de capter à leur profit la fuite des capitaux et des compétences algériennes, les Canadiens de Scotia McLeod, ou d’autres chapelles financières, jouent sur du velours. Ils sont servis par ce climat de morosité qui plombe le monde des affaires en Algérie, depuis notamment l’introduction du crédit documentaire et des nouvelles dispositions en matière d’importation. Huit mois seulement après l’entrée en vigueur de la LFC 2009, près de 300 entreprises ont dû baisser le rideau. C’est Réda Hamiani, le président du Forum des chefs d’entreprises (FCE) qui l’affirmait tout récemment à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Si les investisseurs algériens sont de plus en plus enclins à chercher sous d’autres cieux des lois plus clémentes, la tentation est d’autant plus grande pour des ingénieurs et des informaticiens touchés par le chômage, la marginalisation ou le sous-emploi. Le dernier chiffre fourni par les autorités canadiennes, en octobre 2008, faisait état de 50 000 Algériens établis au Québec. En matière de chiffres, chacun a les siens et ce ne sont pas forcément les mêmes. En 2006, le FCE estimait à 40 000 le nombre de chercheurs ayant quitté l’Algérie durant la décennie rouge.

L’industriel que nous avons rencontré affirme que ses fournisseurs canadiens lui ont déjà « piqué » trois ingénieurs. « Leur formation nous a pris du temps et de l’argent », se désole-t-il. « C’est une grande perte ». Fournisseurs ou prestataires de services, les Canadiens en mission à l’étranger n’oublient jamais de jouer les chasseurs de têtes, les « headhunters » comme ils disent, au profit de leur pays. Ils finissent toujours par repérer les meilleurs éléments dans les entreprises algériennes avec lesquelles ils travaillent. La partie semble gagnée d’avance dans ce challenge où il s’agit de vendre l’exil à des Algériens qui ne demandent qu’à quitter leur pays, y compris en risquant leur vie sur un radeau de fortune.



Par Djamel Alilat

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