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“L’Etat n’a pas besoin de se ridiculiser en se lançant dans des procès qu’il sait impossibles”




Me Farouk Ksentini. Président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH) (officielle)


El Watan, 13 août 2010

Le 14 août 2005, le président Bouteflika annonce le projet de la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Elle est approuvée par « voie référendaire » en septembre 2009 et entrée en vigueur en février 2006, mais les dispositions de la charte et son délai d’expiration demeurent, entre autres, sujets à polémique. Le président de la CNCPPDH (officielle) revient sur les points contestés du projet en question.

- Quel bilan faites-vous de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, cinq ans après sa publication dans le Journal officiel ?

Je considère que la charte est la plus belle victoire du peuple algérien depuis celle qui nous a fait obtenir l’Indépendance. Tous les démons qui habitaient le peuple algérien ont été exorcisés, et cela à l’initiative du président de la République et sous sa conduite. La réconciliation nationale a consisté à désarmer les extrémistes, les terroristes d’un côté et les éradicateurs d’un autre. La paix civile est de retour, les gens sortent, , n’ont plus peur comme avant, cela veut dire que le terrorisme est terrassé. La charte a réalisé ses objectifs à hauteur de 95%.

- Mais nous assistons à des attentats un peu partout dans le pays, notamment en Kabylie…

Je suis d’accord avec vous, il y a toujours des attentats, mais ils sont infiniment inférieurs par rapport à ceux qui existaient dans les années 1990. Vous avez parfaitement raison, il y a malheureusement quelques poches de résistance, parce qu’il est extrêmement difficile de combattre le terrorisme. Le terrorisme est un fléau qui peut toujours renaître de ses cendres. Force est de reconnaître que la paix civile est de retour et que le terrorisme a été vaincu. La charte pour la paix et la réconciliation nationale ont fait que les terroristes se sont eux-mêmes démobilisés. Maintenant, il nous reste à tourner la page définitivement et oublier la décennie noire. La principale fonction de la mémoire de l’homme, c’est d’oublier et non de retenir.

- Quelques démons n’ont toujours pas été exorcisés, tels que le dossier des disparus…

Si l’on s’en tient à la charte, nous n’allons plus parler des cas des disparus, le problème a été réglé à l’occasion de la charte. Or, le principe de l’indemnisation, les personnes auxquelles vous faites allusion sont une minorité active, mais la grande majorité des familles des disparus que nous avions pris le soin de consulter (famille par famille en 2004 et 2005) ont opté pour le principe de l’indemnisation. Il y a certaines qui la refusent et demandent autre chose.

- Vérité et justice…

Vérité et justice, ce n’est qu’un slogan ! En réalité, comment reconstruire la vérité ? Il n’y a pas d’archives, ni de témoignages. Quant à la justice, ces familles pensent qu’il est concevable que l’Etat algérien entre en procès contre certains de ses agents qui sont auteurs de ces disparitions. Comment les identifier ? Comment prouver à leur encontre les faits qui leur sont imputés ? L’Etat n’a pas besoin de se ridiculiser en se lançant dans des procès qu’il sait impossibles. A mon avis, la réaction de ces familles est une attitude de blocage. Je respecte leur point de vue, mais je ne peux rien faire. Si elles ont une solution, qu’elles me la proposent.

- Idem pour les internés du Sud ?

C’est beaucoup plus simple pour cette catégorie. Les internés du Sud ont subi un préjudice et ont été internés injustement, puisque aucun d’entre eux n’a été jugé. Cependant, ils ont droit à une réparation morale et matérielle du préjudice qu’ils ont subi. Ceci est indiscutable. Cette question sera prise en charge et leurs réclamations sont tout à fait légitimes.

- Cette charte est-elle limitée dans le temps, comme le stipule la loi (31 août 2006) ?

Je la considère comme un véritable projet de société fondé sur le pardon et la fraternité. Elle finira bien par s’essouffler, rien n’est éternel. C’est vrai qu’en droit, il y a des délais qui ont été fixés impérativement, mais dans l’esprit de la réconciliation nationale, l’Etat n’a pas été très regardant et a admis des cas qui se sont présentés hors délais. Tant mieux !

- Si un terroriste décide de se rendre aujourd’hui, alors que le délai a été fixé au 31 août 2006, ceci reste-t-il plausible ?

C’est une bonne question, mais je considère que lorsqu’il y va des intérêts supérieurs de notre pays, il faut savoir fermer les yeux sur certaines dispositions légales et accueillir à bras ouverts le terroriste qui se rend en faisant en sorte qu’il ne se rende pas à nouveau.

- Ne pensez-vous pas que le cas du patriote Mohamed Gharbi (condamné à mort pour avoir tué un terroriste de l’AIS amnistié qui le menaçait) est la résultante de la charte ?

En tant qu’avocat, je suis contre la peine de mort. Je n’ai pas compris pourquoi cette personne a été condamnée à mort, bien que je respecte la décision rendue par le juge. Je ne comprends pas non plus comment son pourvoi a été rejeté. Je souhaite que Mohamed Gharbi bénéficie d’une grâce personnelle présidentielle.

- Combien de dossiers de terroristes repentis ont été enregistrés à ce jour ?

Je n’ai pas le chiffre exact, mais cela doit être de l’ordre de 9000 cas. La plupart d’entre eux ont été intégrés dans leur poste de travail qu’ils occupaient avant de se rendre au maquis après avoir été entendus.

- La Commission nationale de suivi de l’application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, existe-t-elle toujours ? A-t-elle publié un bilan ces cinq dernières années ?

Elle n’a rien publié à cet égard. Honnêtement, je ne sais pas.

- Combien a coûté la charte ?

Il y a un budget qui a été alloué mais je ne sais pas combien. Moi, j’étais partisan, dès le début, que le projet de la réconciliation nationale avoisinerait le milliard de dollars, car j’estime que c’est une opération très importante sur laquelle l’Etat ne devait pas lésiner. L’Etat algérien ,qui connaît une prospérité économique sans précédent, a les moyens de concrétiser ce projet.

- Alors, ce même Etat a le droit de faire des tests ADN et de mener des enquêtes pour faire la lumière sur la question des disparus ?

Bien sûr, mais il n’est pas de notre intérêt d’ajouter des fractures à celles qui existent déjà. Il est de notre intérêt de tourner la page définitivement. Il faut que l’Algérie s’attaque au vrai problème qui est le développement. Pourquoi les familles des victimes du terrorisme ne contestent pas la charte ?

- Parce que les auteurs sont des terroristes, justement, et non des agents de l’Etat, n’est-ce pas ?

Je le dis et redis, il faut s’en remettre à la loi et clore le sujet des disparus définitivement.

Bio express

- Né le 28 janvier 1941 à Boufarik, dans la wilaya de Blida, maître Farouk Ksentini poursuit ses études universitaires à la faculté de droit d’Alger avant de s’envoler pour la France. Il a prêté serment en 1966. Bâtonnier dans sa wilaya natale de 1987 à 1991, maître F. Ksentini est l’un des fondateurs de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADH) en 1987. Aujourd’hui, il continue d’exercer son métier d’avocat tout en étant à la tête de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH) (officielle).

Par LamiaTagzout

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