Victime de la mafia du foncier, la famille Hazem ne sait plus à quelle porte frapper pour récupérer ses hectares de terre agricole squattés, avec la complicité de l’administration locale.
Munie de son acte de propriété d’une ferme agricole, Haouch Kaida, de 20 hectares située à Bordj El Bahri, à Alger, validé par voie de justice en 1967, la famille Hazem se heurte depuis plus de 10 ans à une guerre sans merci contre ce qu’elle appelle « la mafia du foncier ». Un lopin de terre qui, selon elle, « n’est ni intégré dans le cadre de la Révolution agraire, ni nationalisé, ni même incorporé aux réserves foncières ». Il a toujours été sa propriété privée jusqu’à ce qu’il fasse l’objet de convoitise. Profitant de la situation d’insécurité qui régnait vers la fin des années 1990, l’administration locale a empiété sur une dizaine d’hectares, qu’elle a morcelés et affectés illégalement à des tierces personnes.
Les dix autres restants ont été tout simplement squattés par des entreprises publiques. C’est ainsi que l’OPGI de Dar El Beida s’est retrouvée bénéficiaire d’une parcelle sur laquelle elle a construit en toute illégalité 300 logements, alors qu’une salle omnisports y a été érigée par la wilaya d’Alger, en dehors du cadre de la loi. Au début de l’année 2000, l’administration des domaines s’est arrogé le droit de céder d’autres parcelles du même terrain à la Caisse de promotion immobilière de l’armée (CPIA) pour des officiers, ainsi qu’à la coopérative El Badr, constituée par des cadres de la wilaya d’Alger. Les propriétaires de l’assiette déposent alors plainte auprès des tribunaux compétents, mais avant même que la décision de justice ne tombe et en dépit de la procédure suspensive engagée, les deux coopératives, composées par des personnalités influentes au niveau de l’administration militaire et civile, obtiennent un permis de construire.
En fait, la coopérative de l’armée a obtenu une cession de 2 hectares auprès des domaines d’Alger, sur décision n°053 datée de janvier 1998 et enregistrée à l’agence de conservation foncière de Rouiba le 10 septembre 2002. En vertu de cet acte, le ministère de la Défense, représenté par le directeur des services sociaux, a signé en 2006 une convention de procuration avec l’OPGI de Tipaza, pour la réalisation de 180 logements promotionnels au profit du personnel de l’ANP, dans le cadre de la vente sur plan. Une cession qualifiée d’ailleurs d’« inhabituelle » par les inspecteurs de l’IGF, dans leur rapport sur la gestion du foncier à Alger élaboré en 2005. Fait bizarre.
En 2008, lorsque l’huissier de justice s’est déplacé sur les lieux pour faire le constat, il a pris en photo une plaque sur laquelle on pouvait lire que le projet concerne 190 logements (10 de plus que prévu) et que sa réalisation a été donnée par le maître d’œuvre, l’OPGI de Tipaza, à une société iranienne de construction, ICC, pour un délai de 24 mois. Durant la même période où la CIPA a eu son permis de construire (2002), la wilaya d’Alger a lancé les travaux d’une salle omnisports, en dépit d’une action en justice engagée par les propriétaires du terrain qui ont obtenu, en 2004, une décision d’expulsion des indus occupants et de la nécessité de remettre le terrain comme il était à l’origine. Un arrêt resté sans suite, puisque la salle de sports a été achevée. Il en est de même pour le projet de 300 logements sociaux lancés par l’OPGI de Dar El Beida, sur une autre parcelle des Hazem, qui lui a été affectée en juin 2001 par les services des domaines d’Alger.
Un projet pris en charge par la wilaya d’Alger et de surcroît financé par le Fonds arabe de développement économique et social (FADES). La bataille judiciaire que les propriétaires des terres entament finit, en 2002, par un arrêt du Conseil d’Etat (corrigé pour erreur matérielle en 2005) qui les rétablit dans leurs droits en décidant de l’expulsion de tous les indus occupants et l’annulation de toutes les décisions de cession et d’affectation de l’assiette foncière. Mais cela n’a pas empêché les travaux de se poursuivre, que ce soit pour la construction des logements de la coopérative militaire, de ceux de l’OPGI de Dar El Beida ou de la salle omnisports, alors que pour la coopérative El Badr, le lotissement fait l’objet d’une spéculation foncière par les bénéficiaires, qui sont des cadres de la wilaya d’Alger, dont un responsable au sein du service de l’urbanisme de Dar El Beida.
A ce jour, les Hazem n’arrivent pas à faire exécuter la décision de justice qui les a rétabli dans leurs droits de propriétaires uniques des 20 hectares squattés. Accusé par certains d’avoir été à l’origine de cette grave violation, l’ancien maire de la commune de Bordj El Bahri s’est défendu en affirmant que sa commune a été la seule à s’être opposée à ces affectations.
Il explique que dès que l’APC a été informée de la création des deux coopératives El Badr et de l’armée sur son territoire, elle a saisi le directeur des domaines de la wilaya d’Alger, par écrit (correspondance n°57 du 23 octobre 1999), pour lui faire part de son opposition à cette opération. Dans une autre correspondance (n°587, datée du 23 octobre 1999), le secrétaire général de la wilaya d’Alger ordonne au directeur des domaines de ne pas prendre en compte notre position et de poursuivre la procédure d’affectation des terrains.
Le wali délégué de Dar El Beida a été également informé de cette transaction douteuse par un courrier (n°2000/1075) daté du 11 octobre 2000, avec pour objet une demande d’annulation des affectations. « Après avoir noté le refus de se conformer à la loi, l’assemblée communale a déposé plainte contre le secrétaire général de la wilaya et le directeur des domaines d’Alger, mais notre action a été vouée à l’échec du fait que la parcelle de terrain n’appartenait pas à la commune et, de ce fait, elle n’avait aucun droit d’agir », note l’ancien président de l’APC de Bordj El Bahri, Nouar Noureddine, dans une déclaration à la presse.
Une situation qui a poussé la famille Hazem à publier une lettre ouverte au président de la République, dans laquelle elle explique longuement comment les institutions de l’Etat violent les lois et foulent aux pieds les décisions de justice. Mais à ce jour, c’est le silence. Entre temps, les engins continuent de dépecer les terres agricoles où des immeubles sont déjà érigés.
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