par Tewkif Hamel
Au Moyen-Orient, il n'y a pas de place pour les faibles, surtout à l'heure de l'hégémonie américaine. Un constat que la région devrait graver dans ses doctrines et plans de défense.
La fin de la guerre froide fut une rupture stratégique dans les rapports de force internationaux, les Etats-Unis sont devenus plus interventionnistes dans les affaires intérieures des autres régions, en particulier les plus vitales pour leurs intérêts, sécurité, propérité. Environ neuf ans après le 11-Septembre, la région est devenue plus volatile à cause de faiblesses structurelles, réticence des régimes en place à mener les réformes indispensables et l'influence des puissances extérieures. Le projet américain du «Grand Moyen-Orient» se traduit par plus d'interventionnisme sur le plan politique, plus de libéralisme sur le plan économique et par un renforcement de la présence militaire dans la région sur le plan stratégique.
La présence militaire américaine s'est énormément élargie depuis le 11 septembre 2001. En 2009, les Etats-Unis avaient pas moins de 865 bases militaires à l'étranger. L'ensemble de ces infrastructures physiques du Pentagone, évalué à 146 milliards de dollars, constitue le cadre essentiel pour soutenir la stratégie de sécurité nationale et appuyer les forces militaires dans le monde via, de manière concise, «la posture de bases militaires» qui est un reflet significatif des intérêts de sécurité nationale américaine dans le monde entier. Elle servira comme élément central de la stratégie pour les décennies à venir. La totalité de cette posture est plus importante et ne se réduit pas au département de la Défense. En d'autres termes, la posture de défense globale des Etats-Unis comprend la taille, l'emplacement, les types et les capacités de leurs forces militaires avancées. Elle constitue un élément fondamental de leur capacité de projection de puissance et d'entreprendre des actions militaires au-delà de leurs frontières. La posture de défense globale permet aux Etats-Unis d'assurer les alliés, dissuader les adversaires et ennemis potentiels de l'agression et les défaire si nécessaire.
De 1798 à 1993, on recense 234 cas dans lesquels les Etats-Unis ont utilisé leurs forces armées à l'étranger dans des situations de conflit réel ou potentiel ou à d'autres fins que celles en temps de paix.1 Depuis la fin de la guerre froide, on assiste en moyenne à une intervention militaire de grande ampleur tous les 18 mois - de 1989 à 2003, les Etats-Unis sont intervenus par la force militaire significative à neuf reprises.2 Et il y a peu de chance que cela change dans l'avenir si ce n'est une sélection quant aux zones d'intervention. Les Etats-Unis seraient plus sélectifs, et le Le retrait de leur forces en Irak n'est pas un événement exceptionnel mais qui devrait être remis dans son contexte, c'est-à-dire la reconfiguration de la présence militaire américaine à l'étranger. A ce titre, il est à noter que les quatre précédentes séries, ayant lieu en 1989, 1991, 1993 et 1995 avaient conduit à la fermeture de pas moins de 350 installations militaires. Le processus fut amorcé en 1988 afin de permettre au gouvernement américain la fermeture ou le réalignement des bases militaires jugées non nécessaires et réviser la totalité des actifs militaires en vue d'économies budgétaires sur l'opérationnel et l'entretien. Le but final est d'obtenir une efficience maximale des moyens militaires en ligne avec les objectifs du Département de la Défense et du Congrès et ce en dépit des difficultés politiques soulevées.
Cela dit, la présence internationale des militaires américains est vaste et coûteuse. Au 20e siècle, le gouvernement a fait élargir cette présence à travers une variété de mécanismes. C'est ainsi que, en 2004, l'administration Bush a annoncé ce qui était décrit comme une «révolution» ou le processus de restructuration le plus complet des forces militaires américaines à l'étranger depuis la fin de la guerre de Corée. Peu de temps après, le Département de la Défense a publié un rapport définissant les principes clés d'une présence globale et intégrée et censée fonder la stratégie qui décrit les ajustements à apporter à la posture de présence. C'est dire que l'environnement stratégique contemporain supposé menaçant sinon dangereux conduit les Etats-Unis à se focaliser sur l'«agilité» étant la nature «volatile, incertaine, complexe et ambiguë» de la menace. L'un des impératifs de la nouvelle stratégie est de garantir l'accès à toutes les régions du monde, en particulier celles riches en pétrole et ressources naturelles notamment le «Grand Moyen-Orient».
Les contraintes budgétaires, l'hos-tilité des populations dans différentes régions dans le monde à la présence militaire américaine ont conduit les Etats-Unis à réduire leur empreinte militaire dans le monde. Dans la région de la Méditerranée et du Grand Moyen-Orient, Américains sont l'OTAN, leur 6e flotte, leurs bases militaires en Europe, le commandement africain et le commandement central. A ceci s'ajoutent des accords bilatéraux signés avec des pays clés. Toutefois, il est primordial de noter que l'adaptation de la stratégie américaine a commencé avec l'administration Clinton. Le réexamen de la posture globale annoncé par l'administration Bush ne sous-entend pas principalement le retrait des forces militaires américaines à travers le monde, plutôt la reconfiguration de l'armée américaine en s'appuyant et appuyant une structure de forces plus faciles à déployer à l'avenir; le repositionnement des forces américaines a commencé bien avant que le réexamen de la posture globale soit adopté; en dépit d'une emphase rhétorique quant au soi-disant accent mis sur les lieux, non sur les bases, en termes de ce réexamen, de nouvelles installations et bases permanentes furent envisagées dans certaines régions, notamment en Asie centrale, en Afrique; la guerre en Irak a compliqué les plans de l'administration Bush quant au repositionnement des forces américaines; il est peu probable que le réexamen de la posture globale permettrait de faire des économies ou ne pas gaspiller l'argent des contribuables.
Dans le passé, les forces déployées à l'avant ont été stationnées à l'étranger pour défendre les intérêts des Etats-Unis directement et de façon décisive par l'action militaire, habituellement de concert avec les forces alliées. Bien sûr, dans la préparation de la mission de défense militaire, les forces américaines déployées à l'avant visaient à dissuader le pacte de Varsovie et faire échouer ses plans offensifs. Mais depuis que les menaces venant des forces conventionnelles et stratégiques soviétiques contre les Etats-Unis ont pratiquement disparu dans un avenir prévisible, une nouvelle stratégie militaire renforçant la présence mondiale fut amorcée, mais réduite en nombre bien que se voulant adaptée à la nouvelle ère. C'est-à-dire désormais au lieu d'avoir de grandes bases et installations à l'étranger, il est préférable d'avoir plus de bases ou de sites d'entraînement sinon de prépositionnement de matériels, mais dans des régions différentes et dispersées. En particulier, tout près des zones jugées instables et vitales pour les intérêts américains. Ce type de déploiement plus petit et plus rapide serait évidemment soutenu, le cas échéant, par une force écrasante directement depuis le territoire américain. L'hostilité des populations à la présence américaine et les contraintes budgétaires ont conduit les Etats-Unis à chercher une autre forme de présence susceptible de protéger leurs intérêts à faible coût.
C'est ainsi que depuis la fin de la guerre froide, la version de la stratégie militaire nationale américaine tourne autour d'une stratégie de défense «1-4-2-1» selon laquelle l'armée est appelée à défendre la patrie «1»; à dissuader l'agression dans quatre régions du monde (Europe, Nord de l'Asie, Moyen-Orient et Sud de l'Asie) «4 »; maintenir la capacité pour vaincre rapidement des adversaires dans deux conflits dans ces régions simultanément «2»; et être en mesure d'effectuer un nombre limité de petites opérations et gagner de façon décisive - jusques et y compris forcer un changement de régime et occuper le pays - dans l'un de ces conflits à un moment et lieu de notre choix «1». Cette approche «1-4-2-1» définissant les objectifs opérationnels et les risques et appliquée à travers toutes les forces permet de répondre à ces défis stratégiques, mais était conçue pour devenir l'une des composantes d'un spectre de possibilités de réponses stratégiques au terrorisme mondial et des Etats voyous, plutôt que d'une catégorie distincte de capacité.
En réalité, cette stratégie n'était pas suffisamment claire sinon ne suffisait pas vraiment à concevoir une structure de forces adaptée à un avenir prévisible. Autant dire la vraie question est de savoir «quelle proportion de la capacité de combat, écrit Peter Pace, Vice Chair Joint Chiefs of Staff, de la nation que nous voulons être en mesure de livrer partout dans le monde, et dans quels délais ?». Afin de compléter cette stratégie et donner des orientations plus concrètes sur ce qu'il faut faire et ce qui est nécessaire pour combattre au 21e siècle, tout en «reconnaissant que le budget de la défense ne sera pas financé aux niveaux des années précédentes» et qu'au cours des prochaines années la structure des forces doit être adaptée et la «mettre en phase avec les réalités politiques et fiscales actuelles», R. Rumsfeld tenta de le faire autour de la formule «10-30-30». Le Secrétaire à la Défense fait valoir que chacun des services doit être en mesure de se «déployer sur un théâtre lointain dans 10 jours; défaire un ennemi dans 30 jours; et être prêt pour un combat supplémentaire de 30 jours encore». Jason Sherman fait valoir que ces objectifs sont les nouveaux critères de référence d'évaluation de «l'armée [qui] se rend compte que ses forces doivent être plus légères et plus rapides à atteindre ces objectifs».3 En fin de compte, selon A.K. Cebrowski, «l'objectif global de ces modifications est de maintenir l'avantage concurrentiel des Etats-Unis dans la guerre».
Le retrait annoncé de l'Irak doit être appréhendé dans le contexte. C'est-à-dire avec la fin de la guerre froide, la stratégie américaine a connu une évolution vers une posture expéditionnaire qui nécessite de petites bases et déploiements à l'étranger qui pourraient être soutenus par une force écrasante directement depuis la zone continentale des Etats-Unis. La nature imprévisible, changeante, insaisissable de la menace sont derrière le changement de cette posture. Sous la bipolarité, l'ennemi était identifiable, territorialisé, ce qui a justifié une posture garnison, c'est-à-dire de grands déploiements et des forces écrasantes tout au long des frontières de l'Union soviétique. La réduction des forces américaines en Irak n'est finalement que l'adaptation et l'ajustement de la situation irakienne (l'exception) à la stratégie globale qui, elle, est élaborée en fonction d'objectifs mondiaux. Simplement dit, le maintien de ces 50.000 soldats traduit et démontre la volonté de «planter un drapeau» ou, du moins, l'occasion de «montrer le drapeau» dans une des régions les plus stratégiques du monde, et qu'ils n'ont nullement l'intention de partir, si ce n'est revenir en cas où la situation se dégrade. C'est-à-dire que leurs intérêts soient remis en cause. Tant que leurs intérêts sont en sécurité, les Américains garderont un oeil sur l'Irak mais de loin.
1 La liste ne comprend pas les actions secrètes et clandestines à l'étranger ni les nombreux cas où les troupes américaines étaient stationnées à l'étranger depuis la Deuxième Guerre mondiale dans le cadre d'occupation ou de participation à des organismes de défense et de sécurité collective ni les accords sur les bases ou d'assistance militaire de routine ou les opérations de formation. Les cas diffèrent grandement selon le nombre de forces employées, la finalité, l'étendue des hostilités et la situation par rapport au droit interne ou international. Cinq de ces cas sont déclarés guerres: la guerre de 1812, la guerre du Mexique de 1846, la guerre hispano-américaine de 1898, la Première Guerre mondiale déclarée en 1917 et la Seconde Guerre mondiale déclarée en 1941. Certains de ces cas ont été étendus en engagements militaires qui pourraient être considérés comme des guerres non déclarées. Il s'agit notamment de la guerre maritime non déclarée contre la France de 1778-1800 ; la première guerre dite barbare contre Tripoli de 1801-1805 ; la seconde guerre dite barbare contre Alger de 1815 ; la guerre de Corée de 1950-1953; la guerre du Vietnam de 1964-1973 ; et la guerre du Golfe de 1991. Dans certains cas, comme la guerre du golfe Persique contre l'Irak, le Congrès a autorisé l'action militaire mais il n'a pas déclaré la guerre.
2 De 1989 à 2003, les Etats-Unis sont intervenus par la force militaire significative à neuf reprises: Panama (1989), Somalie (1992), Haïti (1994), en Bosnie (1995-96), au Kosovo (1999), Afghanistan (2001) et l'Irak (1991, 1998, 2003). Cette interventionnisme est une affaire bipartisane - cinq interventions ont été lancées par les administrations républicaines, quatre par les administrations démocrates et cela au-delà du la présumée de la mythique distinctions doctrinales. L'administration prétendûment «réaliste» de George HW Bush, par exemple, a lancé deux interventions menées à des fins humanitaires (Somalie) ou pour éliminer un dictateur et l'effet d'un changement de régime (Panama). La soi-disant «internationaliste libérale» administration Clinton a effectué trois interventions militaires sans l'approbation du Conseil de sécurité des Nations unies (deux au Kosovo et en Irak en 1998) malgré les objections du public ou de plusieurs des membres permanents du Conseil. Au moins une intervention, en Haïti en 1994, a été entreprise pour supprimer explicitement une dictature, réinstaller une démocratie, et l'effet d'un changement de régime. Mais ses deux interventions dans les Balkans visent aussi en partie à saper le pouvoir de Slobodan Milosevic.
3 Jason Sherman, Rumsfeld's New Speed Goals, Defense News, 12 avril 2004.