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Réflexion autour d’une officine pas comme les autres

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Le DRS est-il le pouvoir ?

El Watan, 9 février 2003

Il vit et évolue dans l’ombre. C’est peut-être sa nature. Mais, en Algérie, pays entièrement verrouillé depuis plus de dix ans, il fait la pluie et le beau temps.

Le Département de renseignement et de sécurité (DRS), ex-sécurité militaire, est cité souvent par l’opposition comme «la principale source» du pouvoir dans le pays. Pour ne pas dire le pouvoir lui-même. Le général major Mohamed Mediène dit Toufik, premier responsable du DRS, est réputé homme puissant aux prérogatives larges. Il fait les évènements, semble-t-il. Même plus. L’homme n’apparaît jamais en public. Ni la Constitution ni «l’ouverture démocratique» d’après 1989, ni, probablement, le règlement militaire ne s’y opposent. Car le DRS dépend organiquement de l’armée et, accessoirement, de la Présidence de la République. Le nom du général Toufik est cité par tout le monde, y compris dans les salons. Et grand monde ne connaît pas son image, ni peut-être sa voix. Un homme secret. Autant que son adjoint, le général Smaïn Lamari. Rares sont les éléments biographiques publics sur ces deux généraux. Après l’indépendance, le général Toufik a fait partie de la promotion dite de «tapis rouge», celle des militaires ayant fait des études au KGB, les services secrets soviétiques. L’URSS a été «la bonne école» pour plusieurs militaires algériens. Ancien directeur de la sécurité de l’armée, devenue DCSA, il prend la tête du DRS en 1990 après la dissolution de la Délégation générale de prévention et de sécurité (DGPS). Après douze ans de tourmente, il y est toujours. Smaïn Lamari dirige, lui, la Direction du contre-espionnage (DCE) qui relève du DRS. Tout aussi discret, le général a un poids certain au niveau de plusieurs appareils et structures. Les deux généraux, compte tenu du climat opaque qui entoure le DRS, sont «chargés» de mythes, vrais ou faux. Les deux hauts gradés en profitent. Eux, ils ne s’adressent jamais aux citoyens. Lorsque le DRS est «attaqué», les autres prennent le relais. Qui ? Des hommes et des femmes politiques, des rédacteurs de presse, des syndicalistes, des leaders de partis. Le DRS — c’est la règle — n’a pas de voix. Mais ses éléments, actifs ou dormants, sont partout. Ou en donnent l’impression. Le DRS a ses règles, ses ressorts et ses «instruments» : l’action psychologique, le noyautage, la manipulation, l’information et la contre-information, le retournement d’opinions, les écoutes téléphoniques. C’est classique, diront les observateurs, au fait du «fonctionnement» conventionnel des services secrets. Mais le DRS, dans un pays qui ne sort pas de la pensée unique et de la domination des militaires dans la décision politique, joue un rôle central dans la vie nationale sans qu’il soit soumis au contrôle du Parlement et de la justice. La lutte contre le terrorisme et l’absence de libertés démocratiques dans le pays ont «accentué» quelque peu ce rôle. Le contrôle des partis, du mouvement associatif, des médias, des syndicats, des universités et du Parlement est devenu systématique. Rares sont les voix qui contestent cette situation. Une partie de l’opposition a évoqué «l’action» de la police politique. Cela n’a pas fait scandale. Aussi les choses se sont-elles presque «normalisées». Au point de faire dire à un historien que le DRS est «le seul véritable parti politique» en Algérie. Le retrait annoncé de l’ANP de la vie politique, «le retour» aux missions constitutionnelles, la professionnalisation des forces armées vont-ils imposer une reconfiguration du rôle du DRS ? Vont-ils faciliter une transparence dans le fonctionnement et l’évolution de ce département ? Rien n’est encore sûr. Car tout le monde, classe politique comprise, semble installé dans le confort du statu quo. Et du blocage.

Par Fayçal Metaoui
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Repères / L’armée de l’ombre

Depuis les premiers âges de l’homme, le renseignement a été indissociable de la vie économique, sociale et politique des sociétés. Il a fondé des stratégies de défense ou d’offensive contre un ennemi dont il fallait mesurer les capacités et le degré de connaissances.

L’évolution des hommes, la constitution de groupes humains en nations homogènes, le découpage de leurs territoires en pays aux frontières établies ont davantage encore affiné les techniques du renseignement en resserrant sa finalité sur un double objectif de préservation de la sécurité intérieure et extérieure. Les Etats qui intègrent toujours l’hypothèse de faire la guerre à un agresseur étranger ont en vue la possibilité d’un ennemi intérieur représenté par l’ensemble des forces en désaccord, ou ouvertement opposées à leur idéologie. Les pouvoirs établis, à défaut de réprimer directement ces opposants, exercent sur eux une surveillance de tous les instants qui leur permet de contrôler leur action. L’historien américain William L. Shirer rapporte dans son ouvrage sur les origines du IIIe Reich que la sécurité militaire allemande chargea l’un de ses agents d’infiltrer un petit parti nationaliste fondé par un serrurier du nom d’Anton Drexler. Cet espion de l’armée allemande s’appelait Adolf Hitler. Il prit vite la direction de cette formation politique insignifiante pour en faire le parti national-socialiste qui répandit terreur et dévastation en Europe et dans une grande partie du monde. Cette irruption de l’institution militaire dans le champ politique n’est pas propre à l’armée allemande et à la période qui a consacré l’émergence du nazisme. Depuis Jules César, le fait militaire a toujours été en interaction avec l’expression politique qu’il a cherché à domestiquer. Les dirigeants emblématiques de leur temps, tels que Napoléon, Hitler, Mussolini ou Staline, constituent des avatars d’un césarisme qui a institué la domination d’un seul homme sur la communauté. Cette logique dictatoriale s’est appuyée, outre les appareils idéologiques dédiés au culte du chef suprême, sur des appareils répressifs dont les plus prégnants sont la police politique et le renseignement militaire. Conjointe ou séparée, l’intervention des deux institutions sur la scène politique s’assigne de fait la même finalité qui consiste à rendre impossible toute remise en cause de l’ordre établi dans la plupart des cas sur la prééminence du militaire. Cette problématique n’est pas nouvelle dans la société algérienne qui l’a vue à l’œuvre historiquement depuis la période de la Régence qui a livré l’essentiel des pouvoirs à l’armée des janissaires. La militarisation de la société algérienne après l’indépendance du pays a rétabli ainsi un continuum interrompu par 132 ans d’occupation coloniale, et dont les éléments fondateurs se sont affirmés durant la guerre de Libération nationale où a été tranchée la querelle inégale entre le politique et le militaire. Le fait nouveau réside en fait dans l’émergence d’une société civile qui aspire, par le recours aux règles de la démocratie, à se réapproprier les libertés de s’exprimer et d’agir. dans le cadre de valeurs républicaines transparentes où le rôle de toutes les institutions est nettement déterminé. Diluée, insuffisamment organisée, cette société civile ne peut assumer que dans la difficulté sa volonté d’induire un changement dans un environnement où la conjonction des appareils idéologiques et répressifs sont les garanties majeures dont dispose l’Etat pour s’assurer une stabilité sociale qui conditionne sa continuité.

Par Amine Lotfi

 


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Une histoire de BSP

Le Bureau de surveillance et de prévention, antenne organique de l’ancienne Sécurité militaire (SM) dans les années 1980, présent dans la quasi-totalité des unités de production et des organismes publics, traduisait la volonté du pouvoir de contrôler les structures et les cadres de l’ensemble du tissu économique et des «appareils idéologiques».

«Dans les sociétés publiques de l’époque Chadli, les gens se taisaient au passage des agents du BSP», raconte un ancien cadre. Les plus connus sévissaient dans la presse publique, comme à El Moudjahid, Echaâb, etc. Le FLN, parti du pouvoir, parti-pouvoir, ne tolérait aucun écart. «Le rôle des BSP dans les rédactions : espionner les collègues et les intimider afin de casser toute tentative dite “subversive“ ou “contre-révolutionnaire“», témoigne le journaliste Ahmed Ancer dans son essai Encre rouge (éditions El Watan, 2001). Toute «sensibilité organisée», selon la terminologie officielle d’alors, qu’elle soit islamiste, berbériste, communiste ou autre, était la cible des rapports élaborés chaque jour (BRQ, bulletin de renseignement quotidien) par les hommes du BSP. Ces agents étaient soit officiers des services secrets, soit des fonctionnaires, cadres, journalistes, portiers, etc., selon la modalité de la «mission». Abderrahmane Mahmoudi, directeur de rédaction de l’hebdomadaire Les débats, remet la création des BSP dans un contexte de confrontation intra-système au début des années 1980. Selon lui, le duo Chadli Bendjedid-Abdelhamid Brahimi (son Premier ministre) voulait libéraliser le secteur économique et casser le monopole rentier, héritage des années Boumediène. «Les caciques du FLN voulaient bloquer ce début des réformes et ont proposé de créer les BSP. On ne peut libéraliser le secteur économique en mettant un officier de la Sécurité militaire dans chaque unité de production», explique-t-il. Le FLN avait tissé des liens étroits avec la Sécurité militaire. Depuis longtemps. Le fameux Bureau de sécurité unifié (BSU), organe névralgique du parti-Etat, qui avait même était présidé par le jeune président de la République (1962-1965), Ahmed Ben Bella, est l’exemple éloquent de cet attachement organique. Le BSU était l’organe de coordination entre les services de sécurité : police, SM, gendarmerie, douanes, etc. Le parti, érigé en Etat à l’intérieur de l’Etat, possédait son propre fichier sur toutes les personnes suspectées d’être «contre-révolutionnaires». L’article 120 du statut du FLN interdisait l'accès à des postes de responsabilité à ceux qui n’étaient pas militants du parti. Les agents du BSP avaient cette double «fonction» d’officiers du renseignement et de «gardiens du temple» du FLN. Leur présence était également ressentie dans le secteur économique et les unités de distribution. L’application du Programme anti-pénurie (PAP) dans les années 1980 a développé les appétits autour du secteur de l’import et de la distribution, sous monopole de l’Etat. Des milliards de dinars étaient en jeu. Usant de leur situation privilégiée, certains agents des BSP en ont profité pour rafler la mise en opérant des transactions frauduleuses, généralement au bénéfice de hauts responsables de la hiérarchie ou de clans. Ils se couvraient ensuite en orientant les enquêtes diligentées vers de fausses pistes, témoigne un journaliste, au fait de ces «affaires». Les émeutes d’Octobre 1988 ont sonné le glas de ces structures de l’ombre. Lors des assemblées générales des grévistes dans les unités de production, les travailleurs vilipendaient ouvertement les BSP, qui étaient la personnification à la fois de la répression politique et des magouilles financières. Parallèlement, l’une des premières revendications du Mouvement des journalistes algériens (MJA) était formulée ainsi : «Arrêtez de fliquer les rédactions !» En octobre 1987, le président Chadli Bendjedid avait scindé la Sécurité militaire en deux structures: la Direction de la sécurité de l'armée, relevant du ministre de la Défense, et la Délégation générale à la prévention et la sécurité (DGPS) rattachée au président de la République. En septembre 1990, le Département de renseignement et de sécurité (DRS) a été créé, remplaçant la DGPS. «Le problème avec ces structures est qu’au lieu de veiller sur la sécurité à l’intérieur des administrations, elles ont été dévoyées vers la surveillance et l’espionnage des activités politiques et syndicales. Pourquoi ces structures n’ont pas anticipé les plans du FIS par exemple ?», observe un journaliste. Les BSP n’ont pas survécu aux restructurations des services. Ces anciens agents, actifs ou détachés, poursuivent, pour la plupart, leur plan de carrière dans le militaire ou dans la vie civile. Par quoi les BSP ont-ils été remplacés ? «Le DRS ne contrôle pas les activités de la vie publique», indique une source militaire. D’autres soutiennent que les «services» placent toujours des agents de surveillance dans les administrations, les journaux, les banques, les imprimeries de l’Etat, les bureaux de transit commerciaux, les universités, les syndicats, les ambassades, les aéroports, les gares routières, etc. Partout.

Par Adlène Meddi

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