En dépit des mesures d’encouragement, nombre d’employeurs, notamment privés, préfèrent procéder au recrutement
direct des travailleurs sans passer par le dispositif de l’Anem.
Détournant à leur seul profit certains avantages de ce dispositif d’emploi, des patrons jettent leur dévolu sur la gratuité de la main-d’œuvre sans pour autant encourager la création réelle d’emplois. Deux ans après sa mise en application, le dispositif d'aide à l'insertion professionnelle (DAIP) géré par l'ANEM a eu l'effet boomerang sur le terrain. En dépit des mesures d'encouragement que cette agence accordaient aux opérateurs privés, ces derniers sont réticents vis-à-vis de cette procédure et optent souvent pour un recrutement direct des employés sans passer par l'ANEM.
Cependant, lorsqu'il s'agit de recruter la main-d'œuvre gratuite, les employeurs, notamment les privés, profitent du DAIP. En effet, le nombre de bénéficiaires de contrats d'insertion des diplômés et de contrats d'insertion professionnelle ne doit pas dépasser 15 % de l'effectif en activité au sein de l'entreprise. Une manière d'encourager les employeurs à créer de nouveaux postes d'emploi. Ainsi, la durée du contrat d'insertion est fixée à une année non renouvelable dans le secteur économique et à une année renouvelable pour les institutions et les administrations publiques. Ces mesures ont été prises afin d'encourager les patrons à passer au recrutement effectif de ces primo demandeurs.
Toutefois, les employeurs dans la plupart des cas mettent fin au contrat après avoir profité une année de la main-d'œuvre gratuite. La procédure portant sur la prise en charge de l'Etat de la rémunération mensuelle brute ainsi que les charges sociales des bénéficiaires du DAIP a, en fait, ouvert les portes à toutes formes d'exploitation. «Puisque le contrat n'oblige en aucun cas les employeurs à recruter ces jeunes, les recruteurs profitent ainsi des lacunes de cette procédure pour mettre fin au contrat initial et faire appel de nouveau à l'ANEM pour engager d'autres primo demandeurs gratuitement», a regretté un ex-bénéficiaire de ce projet qui se trouve actuellement au chômage.
Quel est le nombre de cas d'insertion professionnelle échoués ? Quel est le nombre d'entreprises qui refusent toujours d'adhérer au projet ? Telles sont les questions qui demeurent toujours sans réponse faute d'un bilan évaluatif et de statistiques rendant compte des mérites et des limites de la politique d'insertion professionnelle. «Nous sommes plus tolérants avec les entreprises privées, et ce, afin de les encourager à adhérer davantage à ce dispositif», a révélé une source proche de l'ANEM. Questionné au sujet de l'orientation d'autres jeunes chômeurs vers les entreprises qui ont mis fin au contrat des personnes déjà recrutées dans ce cadre, notre source précise que l'ANEM accorde la priorité aux employeurs recrutant au mois 15% du total de personnes ayant signé déjà un contrat d'insertion professionnelle.
En revanche, des milliers de jeunes chômeurs, croyant réaliser une avancée dans leur vie professionnelle, reviennent au point zéro. Une nouvelle quête tumultueuse, attentes interminables et de nombreuses rudes épreuves à surmonter. Telles sont les différentes tâches qui attendent ces malchanceux dépourvus d'appui.
Car «ceux qui sont pistonnés ont pu décrocher des postes bien rémunérés», soutient Nacéra, une jeune mère qui a bénéficié d'un contrat de travail de deux ans dans le cadre de la direction de l'action sociale et qui se retrouve actuellement au chômage sans avoir la possibilité de déposer un dossier au niveau de l'ANEM.
Requête interminable d'un emploi incertain
En l'absence d'un bilan exhaustif évaluant ce dispositif et rendant compte de la réalité du terrain, ces recruteurs en quête de main-d'œuvre gratuite, continuent à détourner à leur profit un dispositif qui, à l'origine, était destiné à assister les chômeurs.
Et ces derniers se retrouvent de nouveau au chômage sans avoir une autre chance de refaire leur requête.
Les témoignages que nous avons recueillis des différentes régions du pays rendent compte distinctement de l'extension de ces pratiques d'exploitation rendues possible par un programme qui était à l'origine conçu essentiellement pour aider les jeunes à l'insertion professionnelle et à l'abolition définitive du chômage.
Le DAIP tant aspiré n'est en fait qu'une illusion pour ces jeunes désenchantés par la réalité du terrain. Après avoir exercé une année non sans peine, les demandeurs d'emploi se livrent à la recherche d'un travail méritant qui n'est pas pour demain dans une société régie par le népotisme et les inégalités. L'expérience de Mohamed Belkacem, un père de famille originaire de Aïn Defla, est l'un des exemples les plus frappants de l'échec de la politique de l'insertion professionnelle adoptée par l'Etat. Victime des pratiques disgracieuses exercées par certains employeurs, Mohamed a préféré abandonner l'aide qui lui a été proposée dans le cadre de l'ANEM plutôt que de continuer à subir à chaque fois le même sort. Souffrances interminables, salaire dérisoire et mauvais traitement sont des souvenirs que Mohamed retient du fameux projet d'aide à l'insertion professionnelle, sans pour autant obtenir un poste de travail digne.
«Je suis victime de cette politique (la politique d'insertion professionnelle). J'ai passé 18 mois au sein d'une société étatique qui s'appelle Agro-route centre qui assure le transport des céréales, en qualité d'agent de bureau. Durant cette période, j'ai enduré pas mal de souffrances (sous-estimation et déplacement quotidien de 30 x 2 km). Durant la première année, mon salaire était symbolique,il ne dépassait pas 5400 DA. La somme m'a été attribuée par la direction de l'action sociale (DAS)», a relaté ce père de famille, précisant qu'«au cours de six mois de prolongation de mon contrat, je recevais un salaire de 9600 DA / mois payé par Agro-route et au niveau de la DAS, on me donnait 4300 DA». La tourmente de ce jeune en quête de travail n'a que commencé en fait. La vraie déception il ne l'a connue que lorsqu'on lui a demandé de passer quatre autres années dans le cadre de l'ANEM. «A la fin de cette période, ils m'ont proposé de transférer mon dossier de la DAS vers l'ANEM pour une période d'exploitation de 4 ans, sous prétexte que le recrutement était interdit, et qu'ils préfèrent la main-d'œuvre gratuite», a témoigné Mohamed Belkacem, habitant dans la localité de Oued Chorfa à Aïn Defla.
Actuellement, Mohamed travaille en qualité de coffreur au chantier du métro d'Alger bien qu'il soit technicien supérieur en contrôle de qualité dans les industries alimentaires. Mohamed n'est qu'un cas parmi des milliers d'autres qui a eu le courage de laisser tomber un projet qui s'est avéré éphémère. Désillusionnés, certains jeunes, recrutés dans le cadre de l'ANEM; préfèrent ne pas renouveler leur contrat afin de quérir d'autres perspectives.
Originaire de Tizi Ouzou, le dénommé C.Y., un jeune universitaire âgé de 31 ans, attend avec impatience la fin de son contrat obtenu dans le cadre de l'ANEM. La quête de ce diplômé en droit, titulaire d'un CAPA, était très longue et son épilogue n'est que décevant. «J'ai déposé ma demande en 2003. Ce n'est qu'en 2009 qu'on m'a orienté vers l'Office public du notariat pour un contrat d'une année renouvelable que je ne souhaite pas d'ailleurs renouveler», a-t-il lâché désespérément. «La fameuse politique d'insertion professionnelle n'est qu'une fausse résolution. L'attribution de postes se fait par piston. Si j'ai accepté de travailler avec un salaire dérisoire de 12 000 DA attribué par l'Etat, c'est pour acquérir une certaine expérience», a-t-il avoué.
Bien que le DAIP n'offre pas réellement de perspectives palpables pour les chômeurs, il demeure tout de même une occasion pour les primo demandeurs d'emploi afin d'enrichir leur CV. A ce titre, faut-il revoir la relation ANEM-opérateurs économiques ? L'ANEM a-t-elle prévu un dispositif veillant sur les intérêts des bénéficiaires durant et après la période de contrat ? Toutes ces questions semblent omises lors de l'élaboration de ce projet décrit comme étant prometteur.
Cette politique profite davantage aux recruteurs en leur attribuant des allégements fiscaux et parafiscaux.
Quant aux jeunes chômeurs, ils rompent temporairement la monotonie du chômage pour revenir de nouveau à leur situation initiale, sans emploi et sans perspectives.