Le chef de l’État accentue le coup de barre à gauche et fait adopter quatre ordonnances majeures pour lutter contre la corruption. Mais une arrestation aussi rocambolesque qu’inattendue est venue semer le doute sur la volonté réelle de ces réformes...
Objet de toutes les spéculations, au centre de toutes les conversations estivales, à la plage ou dans les salons, l’ordonnance portant loi de finances complémentaire (LFC) 2010 a été rendue publique dans le Journal officiel en date du 6 septembre par les services d’Ahmed Noui. Inamovible secrétaire général du gouvernement, ce dernier est « la seule personnalité du sérail à ne pas avoir changé de poste depuis le retour d’Abdelaziz Bouteflika aux affaires, en 1999 », se félicite un de ses amis du Rassemblement national démocratique (RND, d’Ahmed Ouyahia). Ceux qui avaient parié sur une marche arrière de l’exécutif en matière de choix économiques en sont pour leurs frais : le virage à gauche esquissé par la LFC précédente est confirmé. Bouteflika confirme qu'il reprend la main sur tous les dossiers, ou presque.
Pis, les mesures protectionnistes ont été accentuées. Illustration : si un groupe étranger affiche son intérêt pour l’un des gigantesques marchés dont le lancement est prévu par le programme d’investissements publics 2010-2014 (286 milliards de dollars, soit 225 milliards d’euros), il ne lui suffira plus d’être le mieux-disant parmi les soumissionnaires. Il devra s’engager à réaliser un investissement en partenariat avec une entreprise locale (publique ou privée). Et s’il n’est pas contraint de recourir exclusivement à de la main-d’œuvre locale, le transfert des bénéfices réalisés est conditionné à celui de son savoir-faire et de sa technologie.
Protectionnisme renforcé
Autre tour de vis : la taxe sur les superprofits. Jusque-là, cette taxe n’était appliquée qu’aux groupes pétroliers exploitant les gisements d’hydrocarbures et réalisant de juteux bénéfices grâce à l’embellie des cours. En 2009, elle avait rapporté au Trésor public près de 2 milliards de dollars de recettes supplémentaires. Pour ne pas faire de jaloux, le gouvernement d’Ahmed Ouyahia a décidé d’étendre cette taxe à toutes les entreprises étrangères opérant sur le marché algérien, tous secteurs confondus.
Comme celle de 2009, la LFC 2010 ne manquera pas de provoquer des controverses dans les milieux d’affaires et d’alimenter les rapports des chancelleries à leur hiérarchie. Toutefois, contrairement à la précédente, elle a d’ores et déjà recueilli l’assentiment des partenaires sociaux : patronat et syndicats applaudissent à tout rompre. La classe politique, majorité ou opposition, n’est pas en reste. Contrairement à l’Algérien lambda, pour qui la LFC ne constitue qu’une litanie de chiffres à laquelle il ne comprend pas grand-chose. Le protectionnisme économique ? La régulation du commerce extérieur ? Des concepts barbares qui ne lui parlent pas. Sa seule préoccupation tourne autour de son pouvoir d’achat. C’est pourquoi la partie budgétaire de la LFC 2010 l’a visiblement intéressé.
En effet, le Conseil des ministres du 25 août, qui a adopté l’ordonnance portant la LFC, annonce la mobilisation de 608 milliards de dinars, soit un peu moins de 8 milliards de dollars, en crédits additionnels, au titre du budget de fonctionnement. Cette somme est prévue pour faire face, entre autres, au versement du nouveau régime indemnitaire des fonctionnaires (1,5 million de salariés), avec un effet rétroactif à partir du 1er janvier 2008. Rien de mieux pour calmer le front social le plus agité et assurer une rentrée politique empreinte de sérénité.
Fidèle à sa philosophie d’abstinence en matière de recours à des financements extérieurs, le président Bouteflika a décidé que le déficit budgétaire dû aux 8 milliards de dollars de crédits additionnels et à une sensible baisse des prévisions de recettes de la fiscalité pétrolière (près de 2,2 milliards de dollars) sera couvert par un recours aux ressources du Fonds de régulation des recettes (FRR), le bas de laine destiné aux générations futures. Et pour que ses concitoyens aient conscience de l’ampleur du sacrifice, le chef de l’État a jugé bon de préciser lors du Conseil des ministres : « L’État veille à améliorer le statut social de ses agents, mais attend d’eux en retour qu’ils se mobilisent afin de rationaliser les dépenses publiques. Le budget de fonctionnement a atteint des seuils insoutenables. » Une manière de signifier aux partisans d’une redistribution de la rente pétrolière sous forme de hausses salariales à répétition qu’il n’est plus question de léguer aux générations futures une dette publique dont le volume serait insupportable.
Séances d’évaluation
Pour mieux rendre compte à ses concitoyens-électeurs de l’utilisation de l’argent du pétrole, le président Bouteflika a transformé les auditions annuelles auxquelles il soumettait ses ministres durant le mois de ramadan (« de pénibles examens oraux avec passage de savon à l’occasion », selon le témoignage de plusieurs membres de l’exécutif) en séance d’évaluation, secteur par secteur. Au cours du mois d’août et de la première moitié du mois de septembre, le chef de l’État a donc tenu une série de réunions restreintes, sous forme de mini-Conseil des ministres. Y ont participé, outre le président, Ahmed Ouyahia, Premier ministre, Noureddine Yazid Zerhouni, vice-Premier ministre – qui s’est plaint publiquement de ne pas avoir eu d’explications à propos de son départ de l’Intérieur, ni de précisions sur ses nouvelles attributions –, Karim Djoudi, ministre des Finances, et Dahou Ould Kablia, son collègue de l’Intérieur. Le communiqué qui sanctionne ces réunions restreintes présente les acquis du secteur, ce qui reste à réaliser et les recommandations du président.
Même si les témoins de ces rencontres assurent que l’échange d’arguments est quelquefois vif, l’aspect « globalement positif » qui caractérise ces bilans d’activité en entame la crédibilité. Une gêne qu’accentue l’absence de tout regard critique sur l’action du gouvernement, aucune forme de contradiction aux propos et recommandations présidentiels ne trouvant place dans ces communiqués. Pour des secteurs comme ceux de l’énergie ou des travaux publics, englués dans des scandales financiers, aucune allusion à des problèmes de corruption n’a été faite. Par exemple, le problème de la réévaluation des coûts des projets a bien été abordé, mais pas celui des malversations qui en sont pourtant, le plus souvent, à l’origine. S’agissant de la communication gouvernementale en matière de lutte contre la corruption, les auditions annuelles des ministres n’ont pas été les seuls couacs de la rentrée.
Lors du même Conseil des ministres, le président a fait examiner et adopter quatre projets d’ordonnances relatives au renforcement de la lutte contre la corruption. La première prévoit la création d’un Office central de répression de la corruption étendant la compétence des officiers de police judiciaire à l’ensemble du territoire national. La deuxième instaure l’obligation légale pour tout soumissionnaire, national ou étranger, visant l’obtention d’un marché public de signer une déclaration de probité par laquelle il s’interdit de commettre ou d’accepter tout acte de corruption. La troisième ordonnance élargit les missions de la Cour des comptes en matière de prévention et de lutte contre toute forme de fraude, de pratique illégale ou illicite portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. La quatrième ordonnance durcit les sanctions prévues en cas d’infraction à la législation et à la réglementation des changes et mouvements de capitaux de et vers l’étranger.
Mais, le 5 septembre, dix jours après l’annonce de toutes ces mesures visant à décourager les délinquants financiers, Djilali Hadjadj, médecin et journaliste, infatigable militant de la société civile, représentant de l’ONG Transparency International en Algérie, est arrêté à Constantine, alors qu’il s’apprêtait à prendre un vol pour Marseille. Une vieille affaire de faux et usage de faux (il aurait signé des certificats médicaux au profit de son épouse) lui a valu un mandat d’arrêt… sans qu’il le sache. L’interpellation rocambolesque de cette icône de la lutte contre la corruption jette un sérieux doute sur la volonté des autorités de combattre la prévarication érigée en système.