Le chef de l’État a annoncé, le 24 mai, un plan d’investissements publics de 286 milliards de dollars. Si les montants engagés sont toujours plus importants, l’objectif reste le même : la reconstruction nationale. Priorités : la jeunesse et le développement humain.
La République algérienne démocratique et populaire fête, ce 5 juillet 2010, ses quarante-huit ans d’existence. En attendant le bilan du cinquantenaire, elle donne l’impression de mettre les bouchées doubles pour rattraper son retard de développement, conséquence de trente ans de gestion catastrophique des affaires de l’État durant le règne du parti unique, puis d’une décennie d’instabilité politique et de violences terroristes. Tant et si bien que l’Algérie fait désormais partie, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), du quatuor des puissances émergentes en Afrique, baptisé Sane, pour South Africa, Algeria, Nigeria and Egypt.
Comment ce pays, miné durant les années 1990 par une guerre sans nom, dont la barbarie le disputait à la dévastation, avec ses 150 000 victimes civiles et son coût économique évalué à plus de 20 milliards de dollars de dégâts (16,2 milliards d’euros), qui plus est sous ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI), a-t-il réussi une telle performance en une période aussi courte ? « Le président Abdelaziz Bouteflika a opté pour une stratégie de soutien à la croissance par un programme d’investissements publics massifs, note Djamel Ould Abbès, ministre de la Santé et de la Réforme hospitalière, et les résultats sont là. » Autrement dit, une gestion rationnelle des revenus pétroliers, consacrés exclusivement à l’amélioration des conditions de vie de la population.
Élu en avril 1999, « Boutef », comme l’appellent ses concitoyens, a consacré ses premiers mois à El-Mouradia, le palais présidentiel des hauteurs d’Alger, à jeter les bases politiques pour une réconciliation nationale avec, à la clé, une reddition des groupes armés et le retour à la paix civile. En 2001, il annonce un plan de relance économique avec des investissements publics de l’ordre de 6 milliards de dollars. Ce programme triennal (2001-2003) décuplera de volume, la bonne tenue des cours pétroliers aidant.
Est-ce bien raisonnable ?
Durant son second mandat, Boutef tient ses promesses de campagne : des projets de développement pour quelque 200 milliards de dollars. Le pays se transforme à vue d’œil. Villes nouvelles et nouvelle vie pour les Algériens. La classe moyenne est consolidée (le PIB par habitant a été multiplié par trois), le chômage réduit de deux tiers (de 33 % en 1999, il a été ramené à moins de 12 % en 2009) et l’extrême pauvreté (personnes vivant avec moins de 1,08 dollar par jour) concerne à peine 10 % de la population – « la même proportion qu’en Allemagne, par exemple », relève un cadre du ministère de la Solidarité nationale.
Pour briguer un troisième mandat, Boutef promet durant sa campagne électorale un nouveau programme d’investissements de 150 milliards de dollars. Une fois réélu, le 9 avril 2009, il prend son temps et met une année à en esquisser les contours, à identifier les priorités. Le 24 mai dernier, à l’issue du Conseil des ministres, il annonce la mobilisation d’une enveloppe financière de l’ordre de 286 milliards de dollars, soit 21 214 milliards de dinars, pour la période 2010-2014, soit près du double de ses engagements électoraux.
Le volume de ces investissements soulève des interrogations : n’est-ce pas risqué dans la conjoncture mondiale actuelle ? L’économie algérienne dispose-t-elle des capacités d’absorption d’un tel montant sur une période aussi courte ? « Oui, répond sans hésitation un proche collaborateur du président. D’ailleurs, les engagements de l’État durant le quinquennat précédent étaient nettement supérieurs aux 150 milliards de dollars du plan de soutien à la croissance, car il faut y ajouter les programmes spéciaux au profit des wilayas des Hauts Plateaux [55 milliards de dollars, NDLR] et celles du sud du pays [15 milliards de dollars, NDLR]. Donc, le budget d’investissement pour le prochain quinquennat enregistre une croissance de l’ordre de 35 %. Et les retards en termes d’infrastructures sont si importants que cela exclut l’idée d’un choc inflationniste pour l’économie nationale. »
Rêves d’émergent
Au-delà de son contenu, le plan 2010-2014 dévoile les ambitions de Bouteflika pour son pays. « Nous n’avons pas volé notre statut de puissance émergente africaine, poursuit notre interlocuteur, et il est tout à fait légitime de rêver de celui de puissance émergente tout court. Ce n’est pas une ambition démesurée. Nous avons conscience du chemin qui reste à faire. Pour l’heure, notre priorité est de combler nos déficits en matière de développement humain. »
En l’occurrence, 40 % de l’enveloppe du programme Boutef III est destinée au développement humain. Parmi la population, la principale bénéficiaire de cette manne est sans conteste la jeunesse. Première victime du chômage, elle est en tête des priorités. Bouteflika s’engage à créer 3 millions d’emplois en cinq ans, soit 600 000 postes de travail par an. Ce qui représente exactement le nombre de demandeurs d’emploi qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Près de 45 milliards de dollars, sous forme de mesures incitatives à la création d’emploi et d’abattements fiscaux au profit des entreprises (grandes, moyennes et petites) qui recrutent, sont dédiés à un objectif : contenir le chômage sous la barre des 10 %. « Comme en Europe, souligne-t-on à El-Mouradia, c’est le meilleur moyen d’inculquer à la jeunesse algérienne l’esprit d’entreprise et de transformer le candidat harraga [celui qui “brûle” les frontières, NDLR] en opérateur économique. »
Le défi jeunes
Les projets qui sont destinés avant tout à la jeunesse sont légion : 80 stades omnisports, 160 salles polyvalentes (pouvant abriter manifestations sportives ou culturelles), une dizaine de piscines par wilaya (400 au total) et plus de 200 auberges et maisons de jeunes.
Autre secteur privilégié qui profite en premier lieu à la jeunesse : l’éducation et l’enseignement supérieur : plus de 5 000 établissements scolaires devraient être érigés avant 2014, dont 1 000 collèges et 850 lycées. La population universitaire devrait atteindre 2 millions d’étudiants en 2015, c’est pourquoi plus de 600 000 postes pédagogiques sont inscrits dans le programme quinquennal, de même que la réalisation d’une cinquantaine de cités universitaires pouvant héberger 400 000 étudiants. Pour les jeunes n’ayant pu achever leur cursus scolaire, il est prévu de construire plus de 300 centres de formation professionnelle.
À travers les mille et un chantiers de son plan 2010-2014, Bouteflika poursuit la quête d’émergence et les rêves de grandeur pour son pays. Rêves qui ne se concrétiseront que s’il parvient à y associer les Algériens, en particulier les jeunes, cette fameuse tranche d’âge des 15-29 ans, qui représente plus de 30 % de la population et en concentre les attentes et les inquiétudes les plus aiguës.