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Octobre 88 : le mépris de Bouteflika

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Le 15 avril 1999 où il accède au pouvoir, Bouteflika ne retrouve rien de l’Etat absolutiste laissé par Boumediene.
La constitution, élaborée en 1976, avait changé en 1989 puis en 1996 et prescrit désormais l’alternance au pouvoir : l’article 74 limite le nombre de mandats présidentiels à deux. Le FLN n’était plus seul « représentant du peuple », d’autres partis autonomes ayant été autorisés à activer ; il existe, désormais, une presse libre et des syndicats libres ; la société, mobilisée contre le terrorisme, affiche une certaine vitalité ; la Kabylie reste une zone de contestation…
Pendant les vingt ans où il était en dehors du pouvoir, l’Algérie avait donc beaucoup changé. La société avait dit son mot et le pouvoir autocratique avait vacillé puis abdiqué. En avril 1980 d’abord, lors du Printemps berbère,  grandiose contestation populaire par laquelle des Algériens revendiquèrent la liberté et la reconnaissance de l'identité amazighe.  En octobre 1988, ensuite,  quand un soulèvement général s’acheva par la mort du parti unique, la consécration du multipartisme et de la liberté de la presse. Dans les années 90, enfin, avec la résistance au  terrorisme islamiste qui imposa définitivement la société algérienne comme acteur décisif.
Bouteflika est ébranlé.
Lui le rejeton d’un pouvoir absolu qui régna en maître sur l'Algérie, se désole de l'érosion de la puissance du contrôle étatique sur le citoyen :
« J'ai laissé le pouvoir de Franco, je retrouve celui de la reine d'Angleterre. »
C’est dans Marianne du 12-18 avril 1999, avant son élection, que Abdelaziz Bouteflika dévoilait le fond de sa pensée, à propos des problèmes sociaux et économiques qui (selon lui) s’accumulaient : « on les a traités par la thérapie miraculeuse et salvatrice des abstractions pompeusement appelées « pluralisme », c’est-à-dire affrontement dans la société; c’est-à-dire tapage et bavardage ».  L’APN (Assemblée populaire nationale, parlement) qui était « à 100% FLN est allée dans une direction pour le moins coupable » expliquera-t-il au Financial Times . « Elle a fait des lois qui ont fait passer l’Algérie d’un parti monolithique (…) à 60 partis. Le résultat vous le savez (…) C’est que l’Algérie aura payé le prix le plus fort pour apprendre un peu de démocratie ». Assénant: « je ne suis pas sûr qu’elle ait beaucoup appris, mais je suis qu’elle n’apprendra pas ». Aussi quoi d’étonnant quand il ajoute: « la liberté d’expression chez nous, c’est la liberté de la diffamation et de l’invective, le  multipartisme, c’est quelque chose de recherché, un petit fonds de commerce » . « D’une façon générale, dira-t-il une semaine plus tard dans El Pais, la démocratie est une culture de laquelle nous sommes très éloigné » . Plus d’une année après son élection, à la Conférence nationale sur la pauvreté, devant un parterre d’experts nationaux et étrangers, il affirme  que « dans tous les pays qui se respectent (…) la classe politique qui se respecte se résume à deux partis forts. Le multipartisme ne nous a ramenés que des problèmes » . Est-ce à dire que la démocratie, le pluralisme, la liberté d’expression et de la presse sont responsables des maux de la société algérienne? Abdelaziz Bouteflika, qui sait user de la séduction pour soigner son image devant les médias internationaux, surtout quand il sent qu‘il est allé trop loin, sait se rattraper. En paroles. Interrogé sur ce sujet qui le fâche, par l’Express daté du 19 août 1999, il se plaisait à se comparer au président américain Thomas Jefferson: « je suis un fervent admirateur du président Jefferson, lequel aurait préféré un pays où la presse est libre à un autre doté d’un bon gouvernement », ajoutant: « comme l’opposition, la presse est un antidote aux tentatives de dérive ou d’excès dans l’exercice du pouvoir ». Ces belles paroles seront vite contredites. Passéiste, homme politique d’une autre époque, ne supportant pas la contradiction, traitant les journalistes de « tayabates el hamam » (commères de bain maure) bien avant son arrivée au pouvoir, il n‘hésite pas à renier son engagement - « je ne poursuivrai ni ne suspendrai aucun journal » - pour ordonner de durcir le code pénal ( juin 2001) alourdissant les peines encourues par les journalistes pour outrage, diffamation contre le chef de l’Etat, les corps constitués et les institutions. Une décision coïncidant avec la révélation par des journaux de scandales touchant ses proches et ses amis. La presse est alors l’objet d’attaques en règle, des journalistes sont interpellés et condamnés, avec en toile de fond la mort programmé du Matin qui interviendra en juillet 2004 après l’emprisonnement de son directeur Mohamed Benchicou à deux ans de prison . Et ce, au risque d’écorner une image qu’il s’était efforcée de construire auprès des médias internationaux dans les mois ayant  suivi son élection. 
 
L’idéal pour Bouteflika, l’Algérie d’avant 1988

Il faudra toutefois attendre l’année 2005, en juin précisément, pour qu’Abdelaziz Bouteflika livre publiquement sa vision la plus aboutie de l’histoire et de l’évolution de la société algérienne. Participant à une réunion du BIT (Bureau international du travail), devant un parterre de personnalités et d’experts venus de plusieurs pays, quelque peu surpris par un discours n’ayant aucun rapport avec le monde du travail, le président algérien se livrera à une relecture de l’histoire récente de l’Algérie.
Revenant sur la révolte populaire d’octobre 1988 ayant mis fin au système basé sur le parti unique, il affirmera d’emblée « qu’il n’y a pas eu de révolution démocratique parce que la société algérienne ne considérait pas l’Etat-parti unanimiste et autoritaire comme totalitaire et despotique. Les Algériennes et les Algériens, quelle que soit leur position dans l’échelle sociale, ont bénéficié, même de manière inégale, des prestations de l’Etat-parti qui se présentait comme un Etat providence (…) Pendant un quart de siècle, ce contrat social a généré une remarquable paix civile, la contestation ne portait jamais sur le système lui-même, mais sur le niveau et les modalités d’accès aux biens distribués par lui ». C’est la stratégie adoptée à partir de 1988 qui,  assurait-il,  « a fait voler en éclats le consensus sur lequel se fondait le pouvoir politique en ouvrant le champ politique de manière volontariste », ouverture qui a conduit à l’émergence d’un « totalitarisme millénariste » et « à un déferlement de violence brutale ».
Cette foule à qui une élite a offert l’indépendance ne mérite pas de disposer de morceaux de souveraineté qui n’appartiennent qu’à l’Etat.
« Le peuple algérien n'a formulé aucune demande démocratique. On a décidé pour lui. » 
Tout est dit.
Bouteflika vient de délégitimer le processus pluraliste en marche depuis octobre 1988.
Il ne reste plus qu'à l'abolir.
« C’est à une lecture singulière de la vie démocratique algérienne que le président de la République s’est livré hier au siège du BIT de Genève, réagit l’éditorialiste du quotidien El-Watan. En affirmant que la société algérienne « s’accommodait bien du système parti-Etat », Bouteflika enlève tout naturellement à la révolte d’octobre 1988 son cachet de révolution démocratique. »  
Bouteflika dénie par là aux Algériens toute capacité d’avoir une réflexion sur l’orientation politique du pays et les cantonne dans une position infantile. Comme si ce vent de colère qui a soufflé sur l’Algérie avant 1988 en dépit du climat répressif régnant  - la Kabylie en 1980, les révoltes d’Alger, de Constantine, Sétif, les manifestations de femmes contre le code de la famille, les manifestations étudiantes, les grèves  - n’avait pas été un signe avant coureur d’un essoufflement de cette société socialement indifférenciée et unanimiste telle que perçue et fantasmée par Abdelaziz Bouteflika et les cercles conservateurs du système algérien. Sans doute est-ce pour cette raison qu’il s’en est pris à ceux qui « prônent le pseudo djihad », afin de mieux pointer les démocrates accusés d’avoir « créé la plus grande fitna (crise sanglante) jamais connue depuis l’ère d’Ali Ibn Taleb » , c’est-à-dire d’avoir contribué à briser ce « consensus sur lequel se fondait le pouvoir politique »! Aussi, faute d’arrêter la marche de l’histoire, Abdelaziz Bouteflika et les cercles du pouvoir qui l’ont propulsé à la tête de l’Etat tentent du mieux qu’ils peuvent de la freiner, quitte à remettre en selle le diable islamiste!
H.Z.

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