Les conférence-débats autour de « Notre ami Bouteflika » organisées à Paris (14 octobre) et Marseille (17 octobre) à l'initiative de Radio Galère, les associations Awal, Connexions interculturelles et les Amis du Matin, ont connu un engouement exceptionnel. Les salles de l’Obododo - La Renaissance et des Mille Bâbords, se sont révélées trop exigües pour contenir le nombreux public qui y a afflué et dont l’intérêt portait essentiellement sur la découverte de la face cachée de la « gestion Bouteflika » et sur les perspectives de sortie de l’impasse.
Tour à tour, Mohamed Benchicou, Djilali Hadjadj et Hassan Zerrouky ont présenté le livre « Notre ami Bouteflika » non pas seulement comme un livre sur Bouteflika stricto-sensu mais sur l’Algérie du 21è siècle. Une Algérie qui replonge dans l’Etat bakchich, dans l’Etat barbouze, dans l’Etat absent, dans l’Etat obsolète.
Ces phénomènes, s’ils sont inhérents au système et ont précédé Bouteflika, se sont cependant aggravés avec lui, de façon sans doute, plus dramatique qu’on ne le pense.
Ce sont des reculs intimement liés à la personnalité de Bouteflika qui a érigé sont tempérament en mode de gouvernance.
Le plus grand crime de Bouteflika, dira Benchicou, est d’avoir brisé une timide dynamique de libération de la société qui se dessinait à la fin des années 90, qui avait commencé avec octobre 88, matérialisée par la Constitution de 89, puis interrompue par le terrorisme, mais qui avait repris précisément au sortir d’un combat inhumain contre le terrorisme, comme si la résistance à l’intégrisme avait octroyé à la société une nouvelle légitimité, elle qui revendiquait et obtenait par petits bouts d’être gouverné dans le bon droit, dans un pays debout. Cette période de renouveau inattendue et imperceptible, avait symboliquement commencé par élections 1995 lorsque le général Liamine Zéroual est élu massivement, et avec enthousiasme, malgré les mises en garde de l’organisation terroriste, le GIA, qui menaçait de s’en prendre aux citoyens qui se rendraient aux urnes. La Constitution est modifiée pour se baser désormais sur le pluralisme et la représentativité, essentiels pour s’engager dans un processus de transition démocratique. Elle abolit le pouvoir à vie et limite le nombre de mandats présidentiels à deux (art.74). La Constitution de 1996, après celle de 1989, reconnaît et garantit le droit de créer des partis politiques (art.42) et des associations (art.4), y compris syndicales (art.56). Le chemin est ainsi désormais ouvert vers le pluralisme. La Constitution de 1996 dispose que « le peuple choisit librement ses représentants » (art.10). Combiné avec d’autres articles sur les libertés et les droits, et aussi les articles 6, 7, 11, 71 et 101, la Constitution algérienne opte clairement pour un système politique démocratique.
Tout était encore loin d’être parfait, mais cette Algérie retrouvait goût à la grandeur et courtise la démocratie comme si la lutte contre l’intégrisme islamiste avait redonné une nouvelle légitimité au combat populaire.
Un complot international d’émasculation de l’Algérie va voir le jour, qui va faire démissionner Zéroual et livrer le pays à Abdelaziz Bouteflika. En quelques années, cet homme va stopper l’élan novateur de la société algérienne, décapiter l’embryon d’ouverture démocratique en Algérie, réduire la société au silence, réhabiliter l’islamisme, changer la Constitution, installer la corruption, aligner l’Algérie sur les dictatures arabes et faire le lit d’une kleptocratie, un pouvoir de malfrats, qui dirige aujourd’hui un Etat perverti, vide le pays de sa richesse et se livre aujourd’hui une guerre de gangs.
« Il y a du Richard III de Shakespeare dans Bouteflika », a déclaré Benchicou. C’est une créature avide de pouvoir et qui se veut fascinante, une allégorie du mal, qui détruit tout sur son passage, qui apporte et incarne le désordre, cherchant le pouvoir absolu sans aucune compassion. Il incarne les excès du pouvoir et ses dérives.
Le 15 avril 1999 où il accède au pouvoir, Bouteflika ne retrouve rien, en effet, de l’Etat absolutiste laissé par Boumediene.
Pendant les vingt ans où il était en dehors du pouvoir, l’Algérie avait donc beaucoup changé. La société avait dit son mot et le pouvoir autocratique avait vacillé puis abdiqué.
Bouteflika est ébranlé : « J'ai laissé le pouvoir de Franco, je retrouve celui de la reine d'Angleterre. »
Bouteflika comprend, ce 15 avril 1999, qu’il devra démolir ce legs qui faisait obstacle au pouvoir à vie, casser l’embryon démocratique qui faisait jour dans ce pays, dompter la société, briser les contre-pouvoirs qui émergeaient, sceller de nouvelles alliances pour enfin changer cette maudite constitution de 1989 qui l’empêche de se présenter pour un troisième mandat …
Il faut « remodeler » l’Algérie.
La neutraliser.
Sa stratégie va s’articuler autour d’un objectif unique : le rétablissement des conditions politiques du pouvoir à vie.
Il a rétabli l’Etat hégémonique Il ne croit ni à la liberté de la presse, ni à la liberté d’entreprise, ni à la liberté d’expression. Son objectif central est de rétablir l’Etat dans sa fonction autocratique. Réduire le multipartisme avant de l’éliminer. Tout le reste n’est que façade. Abdelaziz Bouteflika soumettra pendant cinq ans l’Algérie à ses lubies messianiques. Il n’a conduit aucun grand projet de sortie de crise. Son unique projet c’est lui-même.
Djilali Hadjadj a longuement expliqué la naissance de l’Etat-bakchich.
« Bouteflika a érodé l’autorité de l’Etat et permis à la kleptocratie de s’installer. A trop vouloir substituer une société en éveil par une société asservie, à vouloir étouffer l’élan populaire et les institutions de contrôle, il a fait le lit de la corruption. »
Les débats ont révélé un public anxieux mais vigilant et attentif.
C.K.