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Quand le droit déserte la fac de droit

 *par Abed Charef

Le Quotidien d’Oran 28 octobre 2010

Quand un professeur est agressé, c’est toute l’université qui est blessée. Et quand l’agresseur est un étudiant, le crime est double, car il s’agit d’un parricide doublé d’une atteinte à un homme de science.

C’est un véritable SOS qu’a lancé l’université algérienne cette semaine, un SOS qui confirme encore une fois l’incroyable dégradation des mœurs au sein des institutions du savoir. Avec ce document publié par les professeurs de la faculté de droit d’Alger, on apprend en effet que la dérive menace désormais les règles pédagogiques et scientifiques de base régissant l’université, avec des étudiants qui utilisent la menace et l’agression pure et simple pour s’assurer le passage au palier supérieur. C’est donc l’essence même de l’université qui est désormais en cause, dans une descente aux enfers qui ressemble fort à un suicide. Le communiqué de la section CNES de la faculté de droit d’Alger mérite d’être largement repris. On y apprend que «de nombreux professeurs de la faculté de droit ont fait l’objet d’agressions répétées de la part de groupes de pression étudiants, avec pour objectif d’imposer de nouvelles conditions pour assurer le passage d’un plus grand nombre d’étudiants, même si cela devait se faire au détriment des règles pédagogiques et scientifiques les plus élémentaires en vigueur dans les universités».

C’est clair et net. Des étudiants, agissant dans le cadre d’associations- ou de bandes organisées, on ne sait plus-, utilisent la force pour contraindre leurs professeurs à leur accorder des notes qu’ils ne méritent pas. Leur objectif final est donc d’obtenir, de manière non justifiée, des diplômes déjà sérieusement dévalorisés.

Ces étudiants n’hésitent devant rien. Ils ont, entre autres, «séquestré des professeurs et des responsables de la faculté dans leurs bureaux, ils ont eu recours aux agressions physiques, aux insultes, faisant fi de la morale universitaire la plus élémentaire». C’est donc la sécurité des enseignants qui se trouve désormais menacée. En plus de ce nouveau phénomène, l’université a déjà accumulé des problèmes plus classiques, mais qui apparaissent désormais insurmontables, tant l’administration parait dépassée. Manquant de cruellement d’imagination, dénuée de projet, cette administration se contente de pallier au plus pressé, sans anticiper les problèmes, acceptant les compromis les plus contestables pour éviter l’émeute.

Aux classes surchargées, et fortement dégradées, s’ajoute le nombre élevé d’étudiants, l’absence de moyens pédagogiques et scientifiques, la faiblesse de l’administration et des institutions pédagogiques, ainsi qu’un un sous-encadrement alarmant. Tout ceci accentue évidemment le décalage entre les universités algériennes et les grandes universités des pays développés, à un point tel que le palmarès des universités algériennes dans les classements reconnus au niveau international constitue une véritable humiliation.

Pour tenter de redresser la situation et attirer l’attention de leur tutelle, les professeurs de la faculté de droit ont annoncé une série de mouvements de protestation, dont une grève à partir du 23 octobre. Mais là encore, ils ont eu droit à une nouvelle humiliation : leur appel n’a rencontré aucun écho. Comme si cette élite universitaire, chargée de former l’élite de l’Algérie de demain, n’intéressait plus personne.

Là se trouve en fait le nœud du problème. Comment un pays en arrive-t-il à afficher autant de mépris pour ses élites scientifiques ? Comment un pays qui a eu le culte du savoir pendant des décennies peut-il afficher autant dédain envers le savoir ? Sans qu’il soit possible de savoir qui a commis le péché originel, on peut également se demander si c’est l’élite qui a commis la faute, en perdant sa crédibilité, ou si c’est le pouvoir politique qui a interdit à cette élite de devenir crédible, ce qui a poussé nombre d’universitaires soit à partir, soit à se transformer en larbins du pouvoir politique.

Toujours est-il que le résultat ne change guère. L’université, supposée dispenser le savoir, la méthode et l’esprit critique, s’est progressivement transformée, pour devenir un simple tremplin pour accéder à des strapontins, à n’importe quel prix. Comme les partis ou les associations, elle fournit une clientèle docile, d’autant plus soumise qu’elle a perdu toute dignité. Et quand ce type de comportement est signalé à la faculté de droit, là où se forment les juristes de demain, il y a de quoi être inquiet. Car quand un futur homme de loi, ou supposé tel, privilégie l’usage de la force brutale à l’argument juridique ou scientifique, cela revêt une forme de suicide et de reddition morale. C’est aussi une prime à son pire ennemi, et une négation de son propre savoir.

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