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L’Algérie entre haggaras et harragas

*Par Mustapha Chelfi

In Alfa. Journal de la communauté maghrébine au Canada

La défection de neuf membres du Ballet National Algérien, en tournée au Canada pour le 56ème anniversaire de la Révolution de Novembre, jette davantage de lumière sur un phénomène qui vide le pays de ses enfants.
Le Ballet National Algérien durant sa prestation à Montréal le 10 novembre 2010 (ph alfa)Absurde mais réel. Fin 2007-début 2008, je me trouvais en Algérie. Marché Clauzel, à Alger, je suis rentré dans une papeterie. Le propriétaire était en grande discussion avec un client à propos de harragas, secourus puis déférés devant le tribunal. Le verdict qui s’ensuivit fut terrible : 14 ans de prison ferme contre le principal accusé. De quoi s’était rendu coupable le jeune homme qui avait choisi de mettre la mer entre lui et ses tourments? La harga est devenue un phénomène de société. Des jeunes de vingt ans, des fonctionnaires de cinquante, croient embarquer pour Cythère mais débarquent en enfer. La Méditerranée est devenue un cimetière marin. Les vagues rejettent sur les côtes espagnoles leur lot quasi-quotidien de cadavres déjà boulottés par les poissons. Les gardes-côtes italiens interceptent des embarcations où ces nouveaux damnés de la terre s’entassent dans des radeaux de la Méduse et voguent vers un mirage qui recule au fur et à mesure qu’ils avancent.
La harga est un terrible jugement porté contre le pays d’origine. Souvent, les harragas vivent dans des conditions infrahumaines. Ils n’ont ni logement, ni femme, ni enfants. Les perspectives d’avenir sont nulles. De guerre lasse, ils jouent leur va-tout. Leur devise? : « Mieux vaut être dévorés par les poissons que grignotés par les asticots ».
La harga touche tous les secteurs de la société, toutes les tranches. Selon les pays, elle peut prendre des formes diverses. Émigration légale, refuge politique, immigrants investisseurs, étudiants envoyés en formation par l’Algérie qui ne sont jamais retournés au pays, haut-fonctionnaires qui restent sur place à la fin de leur mandat, mariages en blanc, demande de réintégration dans la nationalité d’origine. La décennie noire a entrainé le départ de 450.000 algériens. Parmi ce demi-million d’Algériens, beaucoup de cerveaux ont préféré prendre la fuite plutôt que de s’engager dans une bataille perdue d’avance, la vie en Algérie. Tous ceux qui ont pris la décision étaient arrivés à la même conclusion : « hna khir mel hih »
Pourquoi un pays aussi magnifique et riche que l’Algérie ne peut retenir ses enfants et les oblige à une fuite en avant dont ils ne sortent jamais gagnants. Paradoxalement, c’est dans l’exil – donc trop tard- qu’on découvre l’amour que l’on porte à son pays.
La harga est l’enfant de la hogra. Un simple chaouch peut vous pourrir la vie, un grand commis de l’État vous empoisonner l’existence. Entre le marteau et l’enclume, se forge le caractère et se profile la conscience. Partir ou rester? Le ver dans le fruit. Le reste est affaire de patience. Tôt ou tard, le pourrissement produit son effet.
Tout le malheur des hommes vient de la comparaison, écrivait un philosophe. En zappant d’une chaine à l’autre, on se contemple dans un autre miroir, on y perçoit une autre image. Le rêve américain, s’il existe de moins en moins, demeure toujours le symbole d’un rivage sur lequel on doit d’abord s’échouer avant de pouvoir se relever.

Les danseurs du Ballet National Algérien sont les meilleurs juges de leurs intérêts. Le cas le plus célèbre artiste demeure celui du Soviétique Rudolf Noureev qui s’est fait la belle à l’aérodrome du Bourget, en 1961, alors qu’il était en tournée en France avec le corps de ballet du Kyrov. À cinquante ans de distance, les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Mustapha Chelfi
Mise en ligne :14/11/2010

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