On pensait ce régime suffisamment madré pour n’être jamais en manque de clairvoyance, non pas celle des grands visionnaires dont on ne saurait s’étonner qu’elle lui fasse défaut, mais l’autre, la clairvoyance des boutiquiers, celle dont on pouvait supposer qu’elle était accrochée à ses sangles comme la bourse d’écus à la ceinture d’un maquignon. Mais non ! Au sortir d’une décennie méprisable où la hâblerie l’a disputé à la prévarication, où il a tant menti, tant volé et tant trompé, au sortir de cette décennie sans panache, eh bien, le régime algérien, celui qui s’enorgueillit en public de posséder le tribun Bouteflika et, en privé, le subtil Toufik, ce régime bravache se découvre sans voix, sans idées, sans même un de ces mensonges vertueux, dont il est pourtant coutumier.
Quel malsain silence que ce silence de Bouteflika, diriez-vous ! Quelle insoutenable aphonie que cette aphonie soudaine du Premier ministre ! Mais c’est que, voyez-vous, pour parler au nom d’un Etat, en sus de devoir être hommes d’Etat, il faut d’abord que cet Etat existe. Or, il a suffi d’enfants qui se mutinent afin de racheter le déshonneur dans lequel nous vivons, pour qu’il se confirme qu’en guise d’Etat, l’Algérie est dirigée par des bandes, seulement des bandes, un peu gangs, un peu familles, un peu tribus, des groupes de parrains qui se tiennent mutuellement en respect, le couteau entre les dents, chacun parlant pour soi, seulement pour soi, la tribu Bouteflika décidée de mettre en cause la tribu Tartempion, certaine que tout cela, ces émeutes roturières, ce n’est rien d’autre que vile chouannerie suscitée par le gang d’en face, et qui le dit ! Entendez donc Belkhadem hurler sur les toits de la République, au complot contre Bouteflika ! C’est le boutefeu qui aboie ! Et qui aboie au nom du FIS et de cette ligue de parrains, à qui seul importe le maintien au pouvoir et qui n’a jamais pu croire profondément que les affaires du peuple fussent choses sérieuses.
A un pouvoir que sept jours d’émeutes ont fini par le déglinguer comme une vieille machine rouillée, qui s’affole comme une pimbêche chatouillée, qui se désarticule à la façon d’un pantin vieilli, il ne reste que de pathétiques péroraisons, celles-là qui, relisons nos classiques, ont fait la réputation des régimes condamnés par l’histoire et qui, n’en doutons pas, annoncent une fin proche et dans l’indignité.Personne ne parle, donc, puisqu’aucun des deux camps ne veut perdre la face. Elle n’est pourtant pas si belle, cette face, qu’il faille la sauver à tout prix. Mais non, nos hobereaux y tiennent ! Et je doute qu’il s’en trouve parmi eux de moins ombrageux quant à leur minois, et qui oseraient réveiller le chef du FLN sur la triste réalité que ces tartarinades se font, après tout, autour de jeunes cadavres et du corps tremblant d’une nation agonisante.
Personne ne parle ! C’est à ce triste axiome que se réduit donc la stratégie d’un Etat périmé face à un évènement qui fait vaciller les fondements de la république. Tout au plus ajoutera-t-on quelques rations supplémentaires d’huile et de sucre. Regardez-le ce gouvernement muet, qui n’est jamais parvenu à croire aux engagements qu’il prenait, ce régime grimacier qui, à l’image de son chef, vit sous un double visage et dont les actions les plus graves ont été souvent celles où il était le moins engagé, regardez-le décréter sur l’huile et la semoule, jouant à être efficace, éploré, indigné, solidaire...
Comment s’étonner alors que les affaires de l’Etat aphone et tout entier accaparé par le cours de l’huile, échouent entre les mains d’Issad Rebrab ? Après tout, le sucre et l’huile, c’est lui ! Le patron de Cevital, promu leader du marché algérien sur les deux produits incriminés dans la crise, devient miraculeusement la personnalité politique la plus marquante du...régime. Il ne se contente pas de déculpabiliser son entreprise, il va jusqu’à parler au nom de l'Etat, ou de ce qui tient lieu d'Etat ! « Le patron de Cevital a indiqué que les pouvoirs publics ont promis de trouver le plus rapidement possible des solutions à cette soudaine inflation de certains produits alimentaires », lit-on dans El-Watan. Il préconise jusqu’à des mesures d'Etat, la réduction des charges fiscales ou carrément la dévaluation du dinar ! Il a des opinions sur tout, sur les moyens de juguler l’inflation comme sur le projet Desertec dont Cevital a intégré la fondation. Rebrab explique, sérieusement, qu'en dépit du coût élevé de 400 milliards d’euros, "l'argent ne manque pas", que " l'Algérie a toutes les raisons d’être partie prenante du projet", qu'il "n’y a pas de problème de souveraineté et qu’on « développera l’industrie et on créera des emplois. »
Au pays où le président ne parle pas, où des coteries se neutralisent, on fait nécessairement place aux minotiers, et ce n’est pas plus mal. On retrouve ainsi un peu de cette clairvoyance de boutiquier qui a tant manqué, même si ce boutiquier-là, à bien y regarder, n'est pas d'une neutralité absolue, certains le soupçonnant de travailler à consolider Ouyahia dont dépend, il est vrai, le projet de Cevital d'acquérir Djezzy. Mais quoi ! Il faut bien que quelqu'un parle ! Alors ce sera celui qui a les mains dans la graisse. Ainsi va le petit monde des nations en déperdition.
M.B.