En un an et demi, plus d’une trentaine de suicides ou de tentatives pour des raisons sociales ont été rapportées par la presse. L’émeute s’individualise, le corps social affiche ses injustices dans les corps tout court. Cela peut se graduer à partir d’une brûlure de cigarette sur le bras ou la main, la fameuse kiyya – chez les plus jeunes mais aussi les prisonniers – jusqu’à l’extrême : le suicide, sous toutes ses formes. Mais avant, il y a des formules transitoires de dénonciation en passant par son propre corps. Il y a par exemple cette incroyable réaction relayée par les journaux l’année dernière : dans deux cas à l’est du pays, et en pleine audience de tribunal, un homme s’est intégralement déshabillé, dernier recours pour prouver son désarroi face à la hogra ! Ou encore ces cas de prisonniers algériens en Ukraine ou en Libye qui se sont cousus les lèvres pour protester contre leur abandon par leur consulat en 2009 ! Il y a aussi les automutilations sur les lieux publics, comme ce fut le cas d’un chômeur à l’APC de Sidi M’hamed à Alger l’année dernière.
Des hommes, mais aussi des femmes – exclues des listes du logement social ou d’embauche – passent à l’acte, beaucoup plus en avalant des médicaments ou en sautant du balcon. L’autre donne est le «suicide en groupe» : on l’a vu la semaine écoulée avec ces harraga à Annaba qui ont tenté d’incendier leur embarcation à la vue des gardes-côtes ou, plus fréquemment, des tentatives d’immolation par le feu du père avec ses enfants (Chlef en octobre 2009, Alger en juillet 2010...). Les psychiatres consultés par El Watan Week-end évoquent l’effritement du lien social, mais surtout la remontée des traumatismes non-dits des années 1990. La douleur nationale éclate en autant de scarifications sur les individus qui n’ont pu verbaliser l’horreur, la hogra. Les années 1990 ne sont pas encore digérées. Alors nous y voilà : noyés harraga, victimes des manifestations en Kabylie, suicidés, immolés, sacrifiés… trop de morts ou pas assez ?