Le centre de gravité, la clé de voûte, le milieu de l’empire, le pivot du problème, le point G, le cœur de la pastèque. La capitale est tout cela et plus encore. D’où l’affrontement. 30 000 policiers d’un côté, encadrés par l’Etat, la télévision, l’argent du pétrole, des voyous prépayés et des hélicoptères. Des civils de l’autre, simplement armés de leur impatience. Pourquoi ce dispositif disproportionné qui n’a, par exemple, jamais été mis en place contre le terrorisme, la corruption ou la criminalité ? Parce que. Pourquoi, alors qu’au fond, ce n’est qu’une marche ? C’est-à-dire des gens avec des pieds qui vont avancer, un pied après l’autre, sans courir, arpenter leur capitale à pas lents mais décidés, brandissant des banderoles et clamant des slogans appelant à plus de libertés ?
«Pourquoi avez-vous peur des mots ?», a demandé un journaliste à Tiaret, en sit-in depuis deux jours, demandant l’agrément de son journal depuis des années. Parce que. Comme à Oran où les initiateurs de la marche, prévue aussi pour aujourd’hui, se sont vu refuser l’autorisation, le DRAG leur ayant expliqué que les instructions sont claires, «les marches ne sont autorisées que pour les zaouïas». Tout est dit. A plus grande échelle, tout est clair : Ben Ali parti, Moubarak aussi, pourquoi les autres resteraient-ils ?
Toutes proportions gardées, cette marche dans la capitale algérienne, qui est une tentative de prise de contrôle de la rue par l’opposition, ressemble à la Bataille d’Alger. D’ailleurs, on aurait aimé savoir ce qu’en auraient pensé Larbi Ben M’hidi, Ali La Pointe ou Hassiba Ben Bouali. On ne le saura jamais, mais on peut imaginer qu’ils seraient d’accord sur le principe qu’Alger appartient à tout le monde et que personne ne peut empêcher les Algérois de réclamer plus de libertés. On ne sait pas, mais on est au moins sûrs d’une chose : le général Massu aurait demandé à écraser tout le monde.