La situation vire rapidement au drame humanitaire en Libye où, entre jeudi et dimanche déjà, l’on annonçait pas moins de 173 morts, tous tués par balles, parmi les manifestants contre le régime Kadhafi.
Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - Et encore, il ne s’agit que d’un décompte à minima dans une «Jamahirya» qui, avec la Corée du Nord, peut être considérée comme le pays le plus fermé de la planète. Dans ce pays où tout est interdit, des médias jusqu’aux partis politiques, en passant par la société civile et les organisations internationales, l’internet et même le téléphone qui y a toujours été sous haute surveillance, c’est dans un parfait huis clos que le colonel Kadhafi réprime la révolte populaire qui secoue la Libye depuis mardi dernier. Les sources d’information se réduisent, dès lors, à quelques témoins oculaires, des militants des droits de l’homme ou alors des opposants libyens tous vivant en exil. Difficile dans de telles conditions de se faire une idée précise sur l’ampleur du drame. Tout a commencé à Benghazi, la capitale économique et deuxième ville du pays, à 1 000 km à l’est de Tripoli, dans la nuit de mardi à mercredi dernier. Inspirés et motivés par la bravoure des Tunisiens et des Egyptiens, des citoyens libyens y ont, en effet, organisé un sit-in de contestation contre le pouvoir, réclamant la libération d’un avocat représentant des familles de prisonniers tués lors de la fusillade dans la prison de Tripoli en 1996 lors de laquelle 1 000 personnes ont trouvé la mort. Intolérable pour le «Guide» et la riposte est fulgurante. La police intervient de manière féroce. Dans la ville d’Al Baïda, les services libyens donneront le jour même un aperçu de ce que sera la suite : tirs à balles réelles qui feront 2 morts et des dizaines de blessés. Une tendance qui se confirmera, hélas, dès le lendemain, mercredi, et les jours qui suivront. Pour faire face à la contestation populaire, Khadafi mobilise des moyens de guerre : il lâche ses troupes mais aussi des snipers professionnels et même des mercenaires étrangers, essentiellement africains. Le bilan prend alors des proportions alarmantes, surtout à l’est du pays où l’insurrection tend à se généraliser. Des dizaines de morts et de blessés, sans parler des arrestations, sont annoncées chaque jour, depuis, alors que Khadafi, d’habitude si prompt aux sorties discursives pour le moins «insolites » et pour beaucoup moins que cela, se mure cette fois dans un silence étrange. Sa seule réaction publique se résume à une marche de soutien «au frère le Guide» qu’il a organisée et conduite lui-même dans les rues de Tripoli. Au plan diplomatique, il a choisi de recourir au chantage et la menace pour faire face aux réactions d’indignation et de condamnation qui le ciblent. Après une déclaration de Catherine Ashton, la chef de la diplomatie de l’Union européenne, appelant, par le biais de sa porte-parole, les autorités libyennes à «écouter les manifestants» et à «cesser la violence contre les manifestants », Kadhafi fait convoquer l’ambassadeur de Hongrie à Tripoli, pays qui assure la présidence tournante de l’Union, pour lui transmettre une mise en garde claire : «Tripoli cessera toute coopération avec l’UE dans la lutte contre l’immigration clandestine» si l’Union européenne «continue à encourager les manifestations en Libye». Mouamar Kadhafi n’ignore pas combien ce sujet est très sensible de l’autre côté de la Méditerranée. Et pour qui connaît le «Guide», il est pour sûr que, non seulement il cessera effectivement la coopération en question mais fera tout pour l’encourager et il en a les moyens ! Le maître de Tripoli a toujours fonctionné de cette manière depuis 42 ans : mettre au service de ses «folies», parfois invraisemblables, tous les moyens, gigantesques du reste, de l’Etat libyen. Car, depuis son accession au pouvoir, le 1er septembre 1969 à la suite d’un coup d’Etat sur la monarchie, à la tête d’un «mouvement des officiers libres» calqué sur le modèle égyptien de Gamal Abdenasser, Kadhafi a instauré un pouvoir personnel unique dans l’Histoire. Ni constitution, ni contrepouvoir et, plus anecdotique encore, se définissant ne détenir aucune responsabilité officielle, Kadhafi a interdit toute élection, de quelque nature que ce soit. N’ayant pas un parti politique à proprement parler, il tient le pays à travers les redoutables «comités populaires» et pour seule référence législative son fameux «Livre vert» que lui-même avait écrit «pour l’humanité». Un peu comme le régime iranien, Kadhafi a consacré toute sa carrière et toutes les ressources du pays pour «exporter» sa révolution qu’il appelle «la troisième théorie». Aussi, et pour mieux comprendre le fonctionnement du pouvoir en Libye, il y a lieu de préciser que toute déclaration de Kadhafi, sur quelque sujet que ce soit, a valeur de… décret applicable sur le champ !
K. A.