Il y a des chasseurs de têtes, des chasseurs de primes et d’autres ont traqué les anciens nazis. Je vais devoir me spécialiser dans la chasse aux imposteurs. J’ai du pain sur la planche. Et en matière d’imposture sur les droits de l’homme, M. Bouchachi n’a pas son égal. Commençons par le commencement.
Dans les années 1980, des femmes et des hommes décident de créer une Ligue algérienne des droits de l’homme. J’ai eu l’honneur et le privilège de faire partie des membres fondateurs qui ont connu la répression. A peu de choses près, j’ai le même âge que vous, M. Bouchachi, et ni moi ni mes amis codétenus n’avons le souvenir de vous avoir entendu alors vous engager ou parler des droits de l’homme. Je ne vous fais pas grief de votre retrait. C’était l’époque du parti unique. Les risques étaient réels et la peur compréhensible. Mon interpellation ne concerne pas votre engagement tardif mais votre culot à détourner une ligue pour l’offrir à un pouvoir dont la stratégie a été et demeure de torpiller toute initiative dérangeante. Vous connaissez mes positions sur l’extrémisme religieux. Bien qu’ayant démissionné de la Ligue dès que je me suis engagé dans mon parti, je n’ai jamais manqué de m’élever en tant que militant ou parlementaire face aux abus de l’Etat quelles que soient les opinions de la victime. Or, en bon militant du FLN, vous avez méticuleusement éliminé les membres fondateurs de la Ligue qui, depuis le retrait de Maître Ali Yahia, n’en compte plus aucun avant de transformer cette structure en boutique où se soldent honteusement les principes pour lesquels nous nous sommes battus. Avant de passer en revue la chorégraphie de votre danse du ventre, je voudrais renvoyer le lecteur à l’excellent numéro du 4 mars 2011 du journal français le Monde diplomatique qui donne la manière avec laquelle vous avez été missionné pour infiltrer et déstabiliser la CNCD. Je reviens au fond, M. Bouchachi. Vous et vos acolytes déclarez ne plus vouloir travailler avec les partis politiques après avoir composé avec eux pendant trois semaines. Le RCD avait décidé d’investir la rue dès le début janvier pour ne pas laisser le pouvoir enfermer la contestation populaire dans l’émeute. Il concrétise sa décision le 22 janvier. La question n’est pas de se livrer à une guéguerre sur la paternité des marches mais ce rappel est important car il permet de vous démasquer et de dévoiler votre jeu. Le 22 janvier, je me trouvais au siège du parti à la rue Didouche-Mourad en pleins affrontements avec les services de sécurité. En milieu d’après-midi, vous vous présentez chez nous pour vous associer à la dynamique. Contrairement à ce que vous claironnez, ce n’est pas le RCD qui est venu à vous mais le contraire, Monsieur Bouchachi. Qui vous a demandé de vous incruster dans une dynamique de contestation de rue lancée par un parti ? Qui vous a expliqué, après trois semaines, que la fréquentation de certains partis était interdite et qu’il fallait «assumer cette rupture» ? Les services spécialisés dans la répression et la censure appellent cela de l’infiltration. J’ai entendu dire d’ailleurs que depuis votre retrait, les débats à la CNCD, qui compte une trentaine d’organisations, sont plus clairs et plus sains. Faut-il s’en étonner ? Mais votre compromission est telle que vous n’avez même pas pris le temps de faire oublier votre première mission avant de replonger – toujours au nom de la Ligue — dans une autre aventure en vous affichant dans un meeting d’un autre parti, organisé sous la bénédiction d’un notable du FLN qui est le symbole même de la transmission des méthodes et de la reproduction des clientèles du système. Vous êtes donc un militant des droits de l’homme qui a des vagues à l’âme quand il conteste avec l’opposition et qui se félicite de servir un homme qui a été ambassadeur d’Algérie à Paris quand un certain Ali Mécili avait été assassiné par la sécurité militaire. Votre sponsor d’aujourd’hui est le représentant des meurtriers d’hier. Il ne peut pas nier cette fonction car il n’a ni démissionné à l’époque des faits ni écrit ce qu’il sait de ce crime. Mais pour vous, l’appartenance régionale, seule facteur de solidarité effective, transcende tous les clivages et autorise toutes les compromissions. Dans notre malheureux pays, j’ai eu l’occasion de rencontrer toute sorte d’opportunistes et d’escrocs, mais votre capacité à digérer vos contradictions dépasse l’imagination. Depuis des mois, des journaux fabriqués par ceux-là mêmes qui vous actionnent lancent quotidiennement des campagnes de racisme, de haine et de division. Les plaintes en diffamation déposées contre eux sont systématiquement étouffées. En tant que président d’une Ligue des droits de l’homme, vous n’avez ni relevé ni condamné ces appels au crime ! Quand nous étions en prison, le pouvoir avait lancé des ligues pour semer la confusion dans le pays et à l’étranger. Je suis désolé de vous le dire, Monsieur Bouchachi, malgré leurs accointances, les animateurs de ces structures étaient plus dignes que vous. Un responsable politique est agressé par arme blanche en plein capitale à l’occasion d’une marche pacifique, vous vous taisez au motif qu’il n’appartient pas à votre clan. Et c’est vous qui faites la leçon aux autres quant à la nécessité de défendre les droits des citoyens quelle que soit l’opinion de la personne agressée ! Vous aviez justifié votre mutisme en disant qu’il n’y a pas que vous à avoir gardé le silence sur cette tentative d’assassinat. «Même les intellectuels se sont tus», avez-vous expliqué. Que MM. Boudjedra, Yasmina Khadra ou d’autres habitués au mangeoire du régime réservent leur énergie aux attaques de ceux qui luttent depuis toujours sur le terrain est dans l’ordre des choses. Comme tant d’autres, ils doivent bien justifier leur démission. Ils appartiennent au système et se doivent d’essayer de disqualifier toute proposition de changement radical pour mériter les prébendes dont ils bénéficient. Ces intellectuels organiques et autres meddahs du système peuvent s’exciter en démentis et autres dénégations, rien ne changera la réalité. La leçon est préparée et rodée depuis longtemps : «L’opposition est minoritaire, elle n’est pas crédible, elle n’est pas visible…» Et comme l’a si bien dit récemment l’ambassadeur d’Algérie à Paris : «Chez nous, il n’y a ni fraudes, ni corruption, ni censure ni... émeutes.» Les indicateurs qui pullulent dans les bars et les marchés ne disent d’ailleurs rien d’autre. Mais contrairement à vous, ces personnes ne revendiquent pas la fonction de donneur de leçons sur les droits de l’homme. Vous appartenez à ce qu’il y a de pire dans le système par ce que vous n’essayez même plus de maquiller vos nuisances. Comme vous, un de vos amis proches, ministre-poussah qui, dans un pays digne de ce nom, aurait dû être en prison depuis longtemps pour détournement de financements destinés à la paysannerie vient de se fendre d’une déclaration condamnant «les traîtres à la nation qui vont chercher leurs ordres en France». Lui a volé l’argent de l’Etat, vous, vous monnayez ouvertement les souffrances et les sacrifices des citoyens. D’ici peu, votre complice aura lui aussi la réponse qu’il mérite. Depuis le départ de Me Ali Yahia, des membres de la Ligue vous accusent d’avoir transformé leur organisation en agence de voyage, des associations de disparus vous reprochent de vouloir vous substituer à elles, notamment en matière de subventions… La liste de vos trahisons est longue, Monsieur Bouchachi. Je vais m’arrêter là, car je sais que je ne peux pas vous ébranler. J’ai fini par comprendre que vous ne savez pas ce que veut dire et implique la notion des droits de l’homme. Pour vous, c’est une filière comme une autre qui permet de construire une carrière. Vous avez longtemps essayé les kasma du FLN sans grand succès ; vous chevauchez les droits de l’homme en espérant que, cette fois, votre intégration pleine dans le système sera enfin possible. Ce pouvoir qui menace l’Algérie a déjà pourri bien des dossiers. Mais en prostituant le combat pour les droits de l’homme, vous avez dépassé toutes les limites. Au fond, je vous remercie de vous être éloigné de nous et je vais même vous faire une proposition. A un universitaire nomade politique qui l’invitait à rejoindre Mehri pour restructurer le système de l’intérieur, Me Ali Yahia Abdenour répondit : «Mange et tais-toi.» Vous avez trahi son combat. Essayez de méditer sa recommandation.
Nordine Aït Hamouda, député RCD