Par Brahim Taouchichet
Kadhafi parviendra-t-il à sauver son régime et garder le pouvoir après avoir maté la rébellion ? Le dos au mur, quelle sera sa réaction ?
Alors que l’espoir mêlé au scepticisme entourait les «révolutions » tunisienne et égyptienne, un réel sentiment de malaise prévaut face à une autre «révolution», en Libye celle-là. Tout comme dans les deux premiers cas, un extraordinaire déluge médiatique s’abattit sur la cible, Kadhafi et son régime en l’occurrence. Le tsunami formé par la colère et les frustrations populaires longtemps refoulées devait tout naturellement emporter ce «fou» de Tripoli qui avait pourtant réussi le tour de force de se refaire une virginité en brisant, en 2004, un embargo de plusieurs années auprès de ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, l’envoient à l’enfer de la vindicte populaire sans autre forme de procès. A l’image du Britannique Tony Blair. La plupart des chefs de gouvernement d’Europe occidentale et même des Etats- Unis se rendront sous la tente du plus grand sponsor du terrorisme international ! Oubliés le financement de l’IRA, l’attentat contre le Boeing 747 de la Pan Am (affaire Lockerbie - 1,5 million de dollars par victime versés à leurs familles), le DC 10 d’UTA survolant le Ténéré, au Niger, les 8 infirmières bulgares et le médecin palestinien. Pour ces derniers, il fait une fleur à «l’ami» Sarkozy (après l’ami Tony Blair) puisque c’est Cécilia, l’épouse du président français, qui les accompagnera à Sofia (Bulgarie) à bord d’un avion officiel de la République française. Dans cette dynamique nouvelle de personne désormais «fréquentable», Kadhafi apportera d’autres gages de sa volonté d’homme sage.
Pas si fou que ça !
Malgré les grincements de dents dans les coulisses des opposants à l’égard de cette nouvelle politique vis-à-vis du colonel, c’est l’embellie dans le ciel des relations Libye-Europe. Kadhafi sera reçu en grande pompe dans les principales capitales occidentales où il plantera sa tente, accompagné de ses fameuses amazones dans ses tenues excentriques. Décidément, il y a un Kadhafi d’avant et un autre clean, lavé de tout soupçon. Et pour cause, Un temps suffisamment long pour qu’apparaisse une nouvelle génération — la génération des villes et non plus comme celle de leurs parents nés sous la tente (au demeurant Kadhafi lui-même s’en réclame). Les temps changent, le monde est entré dans l’ère de la communication qui balaie les frontières et parfois le virtuel peut forcer au réel. Ben Ali puis Moubarak en prendront conscience mais trop tard. Facebookers et tweeters creuseront leurs tombes. Pacifiques, ils voulaient ces révolutions dans la joie de la dignité et de la liberté retrouvées après avoir baissé la tête sous le règne de décennies de dictatures et de dénis des droits fondamentaux.
Les ferments de la révolte
C’est que le lit des protestations arabes est fait : corruption, absence de liberté individuelle et collective, perspectives d’avenir bouchées, une jeunesse majoritaire qui piaffe de vouloir vivre à pleins poumons ! C’est autant d’ingrédients explosifs qui échapperont au colonel pour qui sévir par le fer et le feu est la seule réponse contre «la vermine » qui ose remettre en cause sa «légitimité historique» ! N’est-il pas le premier à avoir fait la révolution, la vraie ! L’effondrement du front intérieur n’est pas l’unique mauvaise surprise. Son régime va être soumis à un extraordinaire déluge médiatique visant à le faire tomber en un temps très court. De fait l’insurrection libyenne vole de ville en ville, de victoire en victoire. L’arsenal des moyens mis en branle frappe l’imagination — et c’est le moins que l’on puisse dire — au regard du haut niveau d’orchestration et la synchronisation des arguments d’attaque du guide libyen. A chaque étape de la contestation correspond une affaire de la famille Kadhafi déballée aux téléspectateurs à grands renforts de télés satellitaires. Milliards du pétrole (bien du peuple) détournés, villas somptueuses achetées en Europe et aux Etats-Unis. La dramatisation est poussée à son paroxysme pour semer la panique parmi les résidents étrangers.
Paralyser l’économie
Et là le résultat ne s’est pas fait attendre ! 250 000 travailleurs expatriés ont déjà fui la Libye paralysant ainsi, comme prévu, l’économie. Tout est bon pour hâter la chute du colonel. La guerre par médias interposés fait partie des plans. Articulées aux départs bruyants des cadres du régime, les démissions en cascade des diplomates libyens en poste à l’étranger donnent l’impression du téléphoné… («Ils retournent leur veste», disent sous cape certains observateurs). Dès lors, l’on s’interroge : cela s’explique- t-il seulement par la peur de l’ogre Kadhafi honni par ses serviteurs zélés d’hier et farouches opposants aujourd’hui ? Peut-être. Il se trouve cependant que 20 jours après le déclenchement des manifestations, le ras-de-marée laisse place à un reflux. Kadhafi n’est pas tombé, il est en passe de reprendre le contrôle de toutes les villes perdues. C’est que deux paramètres ont joué en faveur du colonel. D’abord le temps : l’insurrection libyenne devait être bouclée en moins d’un mois comme en Tunisie ou en Égypte. Or, Kadhafi est toujours là et jure même de mourir en Libye quitte à brûler son pays ! Il le prouve en n’hésitant pas à utiliser tous les moyens armés pour venir à bout des contestataires. En lui fermant toutes les issues de secours, les Occidentaux lui rendent plutôt service. Dos au mur, il livre le combat de survie, vaincre ou mourir. Par ailleurs, l’homme de la rue arabe — pour qui Kadhafi n’est qu’un salaud comme les autres chefs d’Etat et monarques arabes et qui mériterait son sort s’il venait à être tué – ne digère pas l’arrogance des Occidentaux à «balayer» coûte que coûte le régime Kadhafi et voit là une nouvelle manifestation néo-coloniale ou «hogra». Les choses se corsent. La décision de la Ligue arabe de soutenir la proposition de Nicolas Sarkozy d’imposer une «nofly zone» est bien plus vue comme une trahison arabe qui rappelle les trahisons de la Palestine et Ghaza à une date récente. Ne se faisant pas d’illusion sur l’issue des combats, l’opposition libyenne appelle à cor et à cris à l’intervention militaire européenne car l’exclusion d’une zone aérienne n’a pas d’autres significations. C’est comme si le colonel les prenait à témoin ! Désormais, tout s’accélère avec un Sarkozy «super-rambo» déterminé à avoir la peau de son ami d’hier au nom d’un certain «droit d’ingérence humanitaire ». Cela irrite superbement la chancelière allemande Angela Merkel qui refuse de suivre son allié français dans une initiative qui rappelle la fameuse Union pour la Méditerranée à laquelle n’adhère ni l’Algérie, ni la Libye de Kadhafi. Pour qui roule Sarkozy ? Grave question s’il en est vu son art du «dribble politique, son autoritarisme dans les prises de décision qui déroutent jusqu’à ses plus proches collaborateurs.
B. H. L. entre en jeu
Alain Juppé, le nouveau ministre des Affaires étrangères, pourtant un vieil habitué des arcanes du pouvoir français, se fait doubler par une figure médiatique très connue dans l’Hexagone, en l’occurrence Bernard Henri-Lévy. Représentant les nouveaux philosophes, intellectuels de droite, c’est un sioniste militant qui a eu à brasser des affaires juteuses dans le commerce de bois précieux en Afrique (Côte-d’Ivoire, Gabon). L’agression israélienne en 2007 contre Ghaza ne l’émeut guère et il la justifie même car pour lui il s’agit d’une guerre contre le terrorisme islamique palestinien. Ce natif d’Algérie (né le 5 novembre 1948 à Béni-Saf ) surnommé aussi «Tintin». «C’est le début de la fin pour ce bouffon sanglant et ses fils», dit-il aux opposants à Benghazi. Cela nous rappelle sa conférence de presse tenue à la Maison de la presse Tahar- Djaout début janvier 1998 : «C’est le début de la fin», disait-il parlant du terrorisme islamique. Il se fait même expert militaire, lui le philosophe : «Qu’on mette hors d’état de nuire l’aviation de Kadhafi. Deux moyens pour cela. Brouiller les systèmes de transmission et de guidage des appareils ou bombarder les pistes de décollage.» Son compatriote Daniel Cohn Bendit veut pousser dans le même sens. En effet, le co-président du groupe des Verts/ALE a demandé à Catherine Ashton, la chef de la diplomatie européenne, de reconnaître le Conseil national de transition intérimaire, «seule force capable d’amener la démocratie en Libye». Il a également rappelé à l’Union européenne son devoir d’assurer de l’aide aux réfugiés. Etats-Unis compris, les dirigeants européens, s’ils réclament ouvertement le départ de Kadhafi, ont les pires craintes de voir se transformer le bassin sud-ouest de la Méditerranée en une zone d’instabilité avec tous les dérapages. Partant de cette appréciation, il y aura plus à perdre qu’à gagner. Sombres perspectives, car avec ou sans Kadhafi, ce sera une zone où soufflera en permanence la tempête. L’Algérie, qu’elle le veuille ou non, sera amenée à mobiliser à sa frontière est longue de plus de 1 000 km des forces de sécurité coûteuses pour parer à tous les risques. Le chef de la Jamahiriya fausse les calculs et renverse le rapport de force au grand dam d’une opposition qui ne semble plus être l’alternative malgré le soutien de la Ligue arabe qui souhaite ouvertement une intervention militaire occidentale contre l’un des Etats membres après s’être positionnée en faveur d’une zone d’exclusion aérienne !
La Ligue arabe, ce «machin»
La Ligue arabe ou ce «machin» pourrions-nous dire, empruntant la célèbre phrase du général de Gaulle à propos de l’ONU, ne se distingue pas par des positions d’avant-garde. Sa lâcheté dans les pires moments est légendaire. A l’endroit de l’Algérie, on ne peut oublier ses silences coupables quand le terrorisme islamique décimait les Algériens par centaines. Les Sahraouis espèrent toujours une reconnaissance de leur lutte pour l’indépendance. Cachant mal son hostilité, la Ligue préfère s’abriter derrière l’ONU qui consacre pourtant leur droit à l’autodétermination. Survivance du régime Moubarak. Amr Moussa n’a soufflé mot lorsque nos jeunes footballeurs étaient sauvagement agressés au Caire. Comme dans le cas de l’Irak, la Ligue arabe, poussée par les monarchies du Golfe, se pose honteusement comme un sous-traitant pour les Occidentaux va-t-en guerre contre les Arabes ! Saddam Hussein a été pendu, ses deux fils tués et ses principaux lieutenants dont le vieux Tarek Aziz également pendus ! En Irak, le sang coule encore autant que le pétrole. Le plan Wolfowitz (secrétaire adjoint à la Défense américain entre 2001 et 2005, théoricien des interventions préventives et ardent défenseur d’Israël qui fut obligé de démissionner de son poste de directeur du FMI suite à une affaire de mœurs) fonctionne à merveille. Voudrait-on rééditer le même scénario dans la région du Maghreb tout aussi riche en pétrole avec la complicité des pays arabes ? Il est aisé d’imaginer un foyer d’incendie sur le flan est de l’Algérie qui fera le lit de toutes les manœuvres de subversions. Bases militaires étrangères ou bases d’entraînement de groupes terroristes le résultat sera identique, à savoir l’instabilité permanente chère aux stratèges de l’ombre. Avec un personnage du même profil que Hamid Karzaï en Afghanistan ou Nouri Maliki en Irak, le tour est joué ! S’il réussit aujourd’hui à déjouer le plan visant à le chasser du pouvoir, Kadhafi a-t-il pour autant les capacités de faire de la Libye un facteur de stabilité dans la région ? Sombres perspectives, car avec ou sans Kadhafi, c’est désormais une zone où soufflera en permanence la tempête. Gel de tous ses avoirs à l’étranger, lâché comme un pestiféré par ses soutiens traditionnels, des installations pétrolières qui tournent au ralenti (le tiers de la production en temps normal), que fera un Kadhafi aux abois lui qui refuse absolument de céder la place ?
B. T.