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Les juristes : «L’intervention de l’armée dans le débat politique n’est pas une solution»

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Doit-on et surtout peut-on destituer le président Bouteflika en raison de son état de santé, comme l’a suggéré dimanche le président d’honneur de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH) et membre fondateur de la Coordination nationale pour le changement démocratique (CNCD), Me Ali Yahia Abdenour ?

Est-il possible de faire jouer l’article 88 de la Constitution pour contraindre Abdelaziz Bouteflika à quitter le pouvoir ? Pour les hommes de loi sollicités hier par El Watan, il n’est pas aisé de répondre à ces questions tant les éléments d’information crédibles sur l’état de santé réel du premier magistrat du pays font cruellement défaut.
Le spécialiste en droit constitutionnel et en droit international Madjid Bencheikh a soutenu, en tout cas, qu’il n’est pas rationnel et encore moins sérieux pour un juriste, en l’absence d’un bulletin de santé actualisé de Abdelaziz Bouteflika, de se baser uniquement sur des images diffusées par la télévision (discours à la nation télévisé prononcé par Abdelaziz Bouteflika le 15 avril dernier) pour émettre un quelconque jugement. Des images à propos desquelles, a-t-il ajouté, on ignore quand et dans quelles conditions elles ont été prises. «L’observateur impartial ne peut se suffire de la télévision», a averti M. Bencheikh.


Si sur le fond, donc, le professeur Bencheikh recommande la plus grande prudence, cela quand bien même M. Bouteflika apparaît très souvent diminué et fatigué, il n’a pas hésité en revanche à critiquer l’opacité qui entoure la santé du chef de l’Etat. Notre interlocuteur regrette et dénonce, à ce propos, le fait qu’aucun point de situation n’a été fait sur la santé du Président depuis sa convalescence à l’étranger. Ce qui n’est pas admissible, a-t-il argué, dans un pays qui se dit transparent. L’ancien doyen de la faculté de droit d’Alger, qui exerce actuellement en France, insistera d’ailleurs sur le droit des Algériens de connaître la réalité sur la maladie de leur président de la République.


Tout en partageant les remarques soulevées par le professeur Bencheikh, l’avocat et militant des droits de l’homme Mokrane Aït Larbi s’interroge, quant à lui, sur la signification à donner au moment choisi par Ali Yahia Abdennour pour appeler à la destitution du président de la République : «La question de l’état de santé du chef de l’Etat se pose depuis longtemps. Pourquoi a-t-on attendu aujourd’hui pour demander l’application de l’article 88 de la Constitution alors qu’on aurait pu le faire lorsqu’il était hospitalisé.» Estimant que l’on ne peut à la fois se dire légaliste, revendiquer la démocratie et appeler en même temps à un «putsch» (allusion faite à la demande formulée par Me Ali Yahia Abdennour à l’adresse des militaires pour qu’ils prennent leurs responsabilités et qu’ils destituent le président Bouteflika), Mokrane Aït Larbi s’est montré des plus sceptiques pour ne pas dire radicalement opposé à la «démarche de sortie de crise» préconisée par  le président d’honneur de la LADDH.


«Ce discours renvoie à une guerre de clans»


En observateur avisé de la scène politique, Me Aït Larbi explique que le discours récurrent sur la santé du Président peut renvoyer en réalité à une guerre de clans au sommet du pouvoir qui ne peut déboucher que sur une alternance clanique. Connu pour ses positions en faveur d’un changement réel du système, l’ancien cadre dirigeant du RCD a assuré que «le problème n’est pas Bouteflika mais le régime». Mokrane Aït Larbi saisira d’ailleurs l’occasion pour plaider en faveur de la tenue d’un débat général sur la situation du pays. Et c’est au terme de ce débat «destiné avant tout à écouter le peuple et à voir ce qu’il veut car on a trop parlé en son nom», a-t-il précisé, qu’il sera possible de s’entendre sur une démarche de sortie de crise et de jeter les bases d’un véritable système démocratique.
Sur ce point, le professeur Bencheikh et Me Aït Larbi se sont entièrement accordés sur le fait qu’il n’est pas admissible pour la classe politique d’appeler une nouvelle fois l’armée à la rescousse et de lui demander de réinvestir le champ politique comme ce fut le cas en 1992. «Appeler l’armée à intervenir et lui demander de destituer le chef de l’Etat n’est pas une solution. Et puis d’abord, elle a le pouvoir.

Les militaires ont déjà eu à le faire et nous en connaissons tous où cela nous a mené», a rappelé M. Bencheikh non sans faire remarquer que «ce qui préoccupe actuellement, ce n’est pas la santé de Bouteflika ou la manière de le faire partir mais plutôt la santé du système». A rappeler que Me Ali Yahia Abdennour a appelé, dimanche, lors d’une conférence de presse des animateurs de la CNCD, «les militaires qui ont ramené Bouteflika» de destituer celui-ci en application de l’article 88 de la Constitution. Cet article stipule notamment que «lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel, se réunit de plein droit, et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l’unanimité, au Parlement de déclarer l’état d’empêchement».
 

Zine Cherfaoui

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