La Croix, 2 juin 2011
Le comité des droits de l’homme de l’ONU a, pour la septième fois, condamné l’Algérie pour disparition forcée pendant la décennie noire.
Avec l’entrée en vigueur de la convention internationale sur les disparitions forcées, l’étau se resserre autour de l’État algérien qui interdit aux familles de disparus toute action judiciaire et toute recherche de la vérité.
Il y a presque dix-sept ans jour pour jour, le 30 mai 1994, au cœur de la période la plus sanglante de la décennie noire algérienne, Brahim Aouabdia, 41 ans et père de six enfants, était arrêté dans son atelier de tailleur de pierre par des policiers à Constantine. Il ne devait plus jamais donner signe de vie.
Meriem Zarzi vécut alors l’horreur des femmes de disparus mais jamais ne lâcha prise pour retrouver son mari et connaître la vérité. Le comité des droits de l’homme des Nations unies a, par sa décision du 22 mars dernier, rendue publique fin mai, donné pleinement raison à la plaignante, représentée par l’association suisse de lutte contre l’impunité Trial (« Track Impunity Always »).
Les injonctions du comité onusien
Dans sa délibération, le comité onusien demande à l’Algérie de « mener une enquête » sur la disparition de Brahim Aouabdia, « de le libérer s’il est toujours détenu au secret » ou « de restituer sa dépouille », de poursuivre les responsables et d’indemniser sa famille.
« Certes, cette décision n’est pas juridiquement contraignante, tempère Me Patrick Baudouin, avocat pour la Fédération internationale des droits de l’homme. Pour autant, si l’on en juge par les pressions qu’exercent les autorités algériennes au sein des instances onusiennes pour entraver ces plaintes et éviter toute condamnation, ces décisions de principe ont du poids. »
De nombreuses plaintes contre l’Etat algérien
D’autant que l’étau se resserre autour de l’État algérien. La condamnation de l’Algérie pour disparition forcée sur la personne de Brahim Aouabdia est la septième condamnation depuis mars 2006. Et d’autres devraient suivre dans les mois à venir.
Trial a déposé quinze autres plaintes. Le collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA) a, lui, quatre plaintes en cours d’examen. Il étudie aussi la faisabilité d’une plainte collective englobant une centaine de cas. « L’Algérie a officialisé une amnestie générale et organisé l’impunité, ce qui explique que les plaintes soient recevables sur la scène internationale », précise une responsable du collectif qui préfère garder l’anonymat.
En violation des conventions internationales ratifiées par le pays, le gouvernement algérien a adopté au fil des ans tout un arsenal juridique contre ces plaintes. La charte pour la paix et la réconciliation nationale en février 2006 a, notamment, criminalisé la poursuite judiciaire : tout dépôt de plainte à l’encontre des forces de sécurité est déclaré irrecevable et toute personne qui « instrumentalise les blessures de la tragédie nationale » est passible d’emprisonnement.
La question des disparus non résolue
Auparavant, sous la pression des familles de disparus notamment, l’État algérien avait fini par reconnaître les disparitions forcées et officiellement recensé 6 146 cas en 2005. Une estimation aujourd’hui portée à 8 024 cas selon le CFDA.
« Si l’on additionne tous les disparus du fait des policiers, gendarmes, militaires, milices, groupes armés islamistes, etc. le chiffre de 20 000 disparus est fréquemment avancé, explique une responsable du CFDA. Le cimetière d’el Alia à Alger compterait environ 3 000 tombes sous X, sans compter les charniers. »
Nombre de familles dans le besoin, pour mettre un terme aux tracasseries administratives, ont fini par accepter de clore les dossiers, en percevant une indemnisation contre un certificat de décès, sans obtenir la moindre information sur le sort de leur père, mari, frère ou fils.
Ces disparus, des hommes presque exclusivement, étaient arrêtés parce qu’ils étaient soupçonnés eux-mêmes ou un de leur proche, de sympathie pour les islamistes. « C’était souvent le hasard, la grande faucheuse qui s’abat sur n’importe qui pour entretenir un climat de terreur », rapporte Philippe Grant, directeur de Trial.
L’entrée en vigueur, le 23 décembre dernier, de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées – dont les dix membres du comité de contrôle ont été élus lundi 30 mai – fait peser une menace nouvelle sur l’État algérien.
Les auteurs de ces crimes contre l’humanité restés impunis peuvent théoriquement être interpellés sur le sol de l’un des États qui ont ratifié la convention (25 à ce jour). Jusqu’à présent, seuls deux anciens responsables de la milice de la région de Relizane, soupçonnés d’être à l’origine d’au moins 200 disparitions, les frères Hocine et Abdelkader Mohamed, ont été inculpés pour torture, actes de barbarie et crimes contre l’humanité par le tribunal de Nîmes en… 2004.
MARIE VERDIER