Des milliers de retraités se sont déplacés hier au siège de la centrale syndicale pour réclamer une revalorisation de leur pension. Ils se sont mobilisés, eux aussi, mais eux surtout, pour exiger la reconquête d’un certain pouvoir d’achat qui fond comme neige au soleil sous l’effet d’une augmentation généralisée des prix des produits et des services. Le malaise social dans lequel baigne cette population du troisième âge, qui est estimée à près de 2 millions de travailleurs retraités, est peut-être l’indice le plus probant d’une injustice commise à l’endroit de certaines catégories de la société.
L’ouverture débridée de notre économie dans les années 1990, si elle a permis en effet l’éclosion de multimilliardaires, huilé les circuits de l’affairisme et encouragé parfois des pratiques peu orthodoxes d’enrichissement douteux, comme de la corruption, elle n’en a pourtant pas permis, en revanche, de corriger certains décalages entre les différentes catégories de travailleurs. A telle enseigne d’ailleurs que le plus bas niveau de rémunération (SNMG) qui, après de multiples augmentations, a été porté à 15 000 DA, ne veut plus dire grand-chose. Quel sens économique reste-il à un SNMG dont la fonction sociale permet à peine l’acquisition d’une ration alimentaire pour seulement quelques jours ? La mutation systémique de notre économie dont se gargarisent nos dirigeants politiques pour justifier à chaque fois le refus d’alignement des salaires ne fait plus recette.
L’argument de la logique économique que nos ministres ont l’habitude d’opposer à l’opinion publique est aujourd’hui enterré par la montée au créneau de toute une armée de catégories de professionnels à la fois de la Fonction publique et du secteur économique (public et privé). Il n’est pas rare d’entendre ça et là des voix qui s’élèvent pour réclamer carrément leur part de «la rente». Sans doute, les pouvoirs publics l’ont-ils déjà compris en ayant largement ouvert le robinet des finances. L’enjeu est tel que les manifestations de rue qui se sont multipliées en Algérie depuis janvier dernier comportent, outre la nécessaire instauration de la démocratie, des revendications socioéconomiques de plusieurs ordres. La vulnérabilité de la population des retraités montre, au juste, toute la faiblesse de la protection sociale et les errements d’une politique que ses auteurs ne pourront plus jamais soutenir en se cachant derrière les faux chiffres d’une gestion chaotique qu’ils refusent d’assumer.
La nouvelle donne politique nationale que l’Exécutif actuel se doit d’intégrer dans ses plans exige en tout cas de ce dernier d’abord de concéder l’aveu de son échec à trouver des solutions. Ensuite, faut-il éviter de se mentir encore une fois et admettre que le salut ne peut venir de la planche à billets. Enfin viendra un jour, sinon déjà le moment, où la question même de la gestion de cette «rente» pourrait être posée avec beaucoup plus d’acuité. Mais là, la rente n’y pourra rien. Tout le monde voudra gérer, gouverner. Et si, par contre, cette rente n’était plus là ?