Il y a une Algérie officielle qui a une haute idée d’elle-même et qui a une idée, fausse, de l’Algérie réelle. Mais bien sur, elle s’en moque. Pas étonnant alors que le ministère des affaires religieuses s’occupe du commerce et que le ministère de la santé fasse preuve d’une « foi » quasi-religieuse… Aller retour entre officiel et réel en cette veille de ramadhan qui s’annonce aussi éprouvant que d’habitude
Officiellement, l’affaire Maatoub Lounès est close. Officiellement, les meurtriers sont connus et officiellement ils ont été punis de 12 ans de prison, soit l’exacte durée de leur extraordinairement longue détention « provisoire ». Officiellement, il se passe plein de choses. Et on ne cesse de tourner des pages. Mais officieusement – chez ceux qui organisent le décor officiel – on sait que l’affaire n’est pas finie. Et que pour les siens, la vérité officielle était platement prévisible et ne peut être la «fin». Qui peut rester de marbre devant les objections factuelles et de bon sens émises par les parents de Maatoub Lounès ? Il est clair que pour les siens, le combat se poursuit et qu’il n’existe pas, en l’espèce, d’une autorité de la chose jugée. Pour la forme sans doute, les parties civiles vont vers la Cour suprême afin d’épuiser les voies de recours nationaux avant de saisir une justice internationale en gestation. Maâtoub est un symbole. Le fait que le procès de ses présumés assassins et leur condamnation n’apporte aucune espèce d’apaisement illustre parfaitement la situation algérienne. Un pays qui traine, dans le silence forcé et légalisé, des rancœurs, du ressentiment, une soif inassouvie de justice et de vérité… Oui, derrière les dossiers officiellement fermés, il y a encore plein d’histoires de douleurs, de bruit et de fureur…qui attendent.
Faux début
Le dialogue politique, officiellement mené par la commission officieusement dénommée BTB, (Bensalah, Touati, Boughazi), ne donne plus signe de vie. Et cette veille de ramadhan, où le guet-apens de la hausse des prix de la première quinzaine du mois sacré a déjà pris de l’avance en ces derniers jours de chaabane, la commission BTB et le dialogue officiel sont des disparus que personne ne recherche et qu’aucune femme vaillante du mercredi ne se charge de maintenir vivace et présent. Car au fond – les algériens qui ne sont pas dans l’Algérie officielle ont fini par apprendre comme elle fonctionne – un dialogue officiel, ce n’est pas un dialogue, c’est une sorte d’exercice physique présumé politique que le système se sent obligé d’accomplir pour satisfaire quelque officieuse exigence extérieure. Officiellement donc le dialogue « large » a été accompli avec une liste des « 200 » officiellement établie par le pouvoir comme étant la représentation de l’Algérie et dont les avis « majoritaires » seront officiellement retenus pour la révision de la Constitution et des lois. C’est ainsi. Le système algérien a sa petite idée de l’Algérie, de ce qu’elle est, de ceux qui représenteraient quelque chose et de ceux qui ne représentent rien. Il n’a pas besoin d’élections pour le savoir, il n’a pas besoin de télévisions ou de radios libres qui permettraient au grand public d’apprendre à connaître des gens qui ont peut-être des idées… Non, avec le régime algérien tout est pré-emballé. Et puis, comme il veille à le suggérer lui-même pour créer la parano générale, il a « tout le monde en poche »… Même ceux qu’il oublierait d’inviter par inadvertance ou par omission délibérée de ceux qui sont chargés d’établir les listes. Pas grave qu’ils ne soient pas là « puisqu’ils sont déjà dans la poche ». La vieille musique fonctionne toujours même si elle émet des sons stridents et grossiers. Au système, on ne connait pas d’autre partition que celle de faire officiellement semblant…
Durant ces quelques semaines de pré-ramadhan, les observateurs non-officiels ont constaté que le Département d’Etat américain a envoyé deux messages sibyllins et froissants pour les détenteurs du pouvoir officiel en RADP. Il y a d’abord eu un méchant rapport sur la traite des personnes publié à la fin du mois de juin et qui place l’Algérie dans la liste noire de ceux qui ne soucient pas de la personne humaine et ne font rien contre les maquereaux et autres esclavagistes. A la lecture du rapport, la région de Tamanrasset avec ces « villages africains » peuplés de réfugiés en quête d’Europe et sous la coupe de caïds apparait comme un lieu terrifiant. Femmes contraintes à la prostitution, hommes contraint à la servitude et – c’est le rapport qui l’affirme – complaisance voire complicité des services de sécurité algériens. A ce premier message « flétrissant » est venu s’ajouter quelques semaines plus tard un message bizarroïde. Un porte-parole du département d’Etat commente une rumeur venue de Benghazi au sujet d’un bateau bourré d’armes à destination des troupes de Kadhafi qui aurait accosté dans le très peu utilisé Port de Djendjen. Et le message, tortueux et « Reutérisé » du porte-parole de Hillary Clinton, rappelle l’obligation de l’Algérie de respecter les décisions du Conseil de sécurité sur la Libye. Et qui lui demande, « si elle est au courant », de veiller à ce que les armes n’arrivent pas chez Kadhafi. Message étonnant. Décodé par les non-officiels, c » »est-à-dire des algériens normaux et réellement majoritaires, comme un avertissement aux officiels de la RADP. Teneur : on ne vous ennuie pas avec vos pseudos-réformes mais vous devez coopérer sur la Libye sinon….
Finalement, la RADP a répondu en quelques heures à l’histoire du bateau. « Catégoriquement » faux.
La RADP a mis plus d’un mois pour répondre sur les accusations américaines sur la traite de personnes en accusant « une ONG d’un pays de la rive nord de la Méditerranée » – sans précision, les diplomates algériens sont prudents !- d’avoir fourni des informations erronées.
Le plus beau est dans l’explication du retard de la réaction. L’Algérie tenait d’abord à communiquer « dans le cadre du dialogue régulier et serein que nous entretenons avec les autorités américaines ». Et surtout, précise le porte-parole des AE à destination des journalistes à l’esprit mal tourné qui pourraient y voir quelque chose de gravissime : « il faut toujours prendre avec du recul et relativiser ce genre de rapport, somme toute routinier, sans verser obligatoirement dans les réactions excessives ». Voilà, nous sommes officiellement avisés.
Que se passe-t-il officieusement entre l’Empire et la Régence – ah pardon, la RADP !?
Sur cet aspect de la question, il ne faut pas compter sur le porte-parole des AE… pour décoder…
Officiellement nous avons un ministère de la santé qui se soucie officiellement de notre santé et veille à ce que les médicaments essentiels soient disponibles. Réellement – ce qui ne veut rien dire du point de vue officiel – les algériens constatent que de nombreux médicaments manquent. Officiellement, le ministère considère qu’il n’existe aucune raison pour qu’il y ait pénurie. Réellement, cette pénurie existe et sur des médicaments essentiels. Beaucoup d’Algériens sont à la peine et sollicitent leurs frères de France. Conclusion, le ministère de la santé de la RADP est un ministère placebo. L’effet placebo est bien entendu dans la tête des officiels : « Il n’a pas de pénurie de médicament parce que je crois qu’il n’y a pas de pénurie et qu’il ne peut y avoir de pénurie ».
C’est donc un ministère de la « foi » qui s’occupe de la santé des algériens.
Il a tellement foi qu’il ne peut pas voir la pénurie.
Rien de plus normal dans le monde de l’officiel.
Après tout le ministère des affaires religieuses a décidé de s’occuper d’économie et de commerce et a demander aux prêcheurs du vendredi de prêcher sur les prix…
Bon, les algériens qui ne sont pas l’Algérie officielle, n’ont pas la tête placebo voient donc un ministère des imams s’occuper de l’économie et un ministère des médecins s’occuper des âmes. Comment pourraient-ils ces algériens réels croire un jour que l’Algérie Officielle est conforme à ce que l’Algérie officielle dit d’elle-même ?