«Le monde est un grand bal où chacun est masqué.» Vauvenargues «Au moindre revers de fortune, le masque tombe: l'homme reste et le héros s'évanouit.» Jean-Baptiste Rousseau
Je me doutais qu'on apprenait au lycée que les rudiments qui serviraient plus tard à acquérir d'autres savoirs, à l'école de la vie ou à l'université. Je m'en suis aperçu en buvant les paroles de notre professeur de l'Histoire de l'art qui possédait une culture universelle et qui aimait prononcer les noms des génies avec l'accent et la prononciation de leur langue d'origine. Ainsi De Vinci devenait, à notre grand étonnement, Da Vintchi. C'était mettre les pieds dans l'universalisme limité artificiellement à l'école française. Notre regretté professeur essayait de nous expliquer les recettes pour écrire un bon scénario et il s'appliquait à faire rentrer dans les cerveaux qui avaient à peine assimilé les trois règles du théâtre classique, les notions de dramaturgie et les artifices employés pour étonner le spectateur naïf. Il nous disait toujours que le modèle exemplaire demeurait le huis clos: c'était une pièce ou un espace fermé sans contact avec l'extérieur. Cela peut être un ascenseur, une tour infernale, un avion, un autobus, une grotte, une geôle... Des personnages réunis par diverses circonstances entretiennent des relations normales selon les codes de leur environnement. Un événement subit (le feu, une dispute, une résurgence du passé, un accident, un évènement dramatique) va créer une crise qu'affronteront les protagonistes, chacun avec sa personnalité, son caractère et son histoire. C'est au sommet d'une crise que vont commencer petit à petit à tomber les masques dont se sont affûblés des personnages ordinaires: le matamore fait place au pleutre, le riche devient mesquin, le couple uni se déchire et le plus obscur d'entre tous devient un héros. Certains auteurs policiers comme Agatha Christie en ont fait la base même de leurs romans: un meurtre est commis dans une communauté restreinte et tous les acteurs du drame deviennent des suspects en puissance (le crime de l'Orient-Express, Mort sur le Nil). Le cinéma a produit des chefs-d'oeuvre de la même veine: La Tour infernale, 12 Hommes en colère, Le Trou... Celui qui a laissé le plus de traces en moi fut sans nul doute Marie-Octobre. Je l'avais lu dans la période où j'étais passé de la lecture des bandes dessinées à celle des romans-photos qui remplaçait avantageusement le cinéma absent des douars. Ce film fut réalisé en noir et blanc dans sa première version, par Julien Duvivier. Des acteurs de premier plan comme Danielle Darrieux avaient donné à ce film une aura qui dura des années, tant qu'ont demeuré dans la mémoire française les exploits de la Résistance intérieure, telle que la menèrent des gens issus des diverses couches de la société mais unis par un même idéal: combattre l'envahisseur. Cependant, la liberté retrouvée, les membres du réseau clandestin vont connaître des destins différents. Comme dans le chef-d'oeuvre italien Nous nous sommes tant aimés, certains oublieront les principes pour lesquels ils se sont battus et se contenteront de se faire une place douillette au soleil tandis que d'autres resteront fidèles à leurs premiers engagements. Il en est ainsi dans toutes les guerres asymétriques qui confinent le plus faible à la guérilla et à la clandestinité. On fait souvent étalage des exploits héroïques des gens du commun, mais on tait souvent les petites lâchetés inhérentes à l'homme, où les intérêts particuliers sont opposés à l'intérêt collectif et où les passions humaines étouffent le patriotisme. Marie-Octobre est l'exemple même de l'arène où des anciens camarades de combat vont se transformer en fauves et s'entre-déchirer avant la scène finale où le traître sera démasqué. Les traîtres existent dans toutes les luttes clandestines: il y en a qui trahissent avant, il y en a qui trahissent après la victoire finale. Le plus grave est le fait de ces derniers qui piétinent le serment fait aux martyrs.