Ait Benali Boubekeur, 1er novembre 2011
Il y a 57 ans, les Algériens découvrent deux appels, signés au nom du FLN et de l’ALN, en vue de combattre le système colonial. Dans la proclamation du FLN, les chefs de l’insurrection, sûrs de leur combat, font appel au peuple pour les juger sur le bien fondé de leur action. Par ailleurs, bien que le peuple algérien ait beaucoup attendu son salut de l’action politique, menée notamment par le principal parti nationaliste, le PPA-MTLD (Parti du Peuple Algérien –Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques), les initiateurs de l’action armée se démarquent du parti, tiraillé par les luttes intestines. Ceci dit, il est vrai que le PPA-MTLD fut le seul parti à prôner l’indépendance de l’Algérie. Les autres formations préconisaient, quant à elles, des formules assimilationnistes. Du coup, les fondateurs du FLN avertissent d’emblée les militants afin de ne pas les confondre avec l’une des fractions du mouvement nationaliste. En effet, à ce moment-là, les deux tendances du MTLD se livrent une bataille inexpiable. « Notre désir aussi est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l’impérialisme et ses agents : administratifs et autres politicailleurs véreux », arguent les dirigeants de la révolution algérienne. Pour ces derniers, les partisans de l’action politique ont eu leur chance. Après trois décennies de militantisme, il est temps, estiment les rédacteurs des deux textes fondateurs de la révolution algérienne, de passer à l’action. Ainsi, contre la volonté des deux tendances du parti, les activistes veulent en découdre avec un système abhorré, mais combien puissant. Il faut rappeler que le parti, PPA-MTLD, fut à ce moment-là miné de l’intérieur. Le comité central n’était plus sur la même longueur d’onde que son président, Messali Hadj. Éloigné du territoire national depuis des lustres, Messali perdait petit à petit le contrôle du parti. Lors du congrès du parti en avril 1953, le comité central avait voté une motion se situant aux antipodes des positions d’un parti révolutionnaires. Celle-ci consistait à travailler, là où ce fut possible, avec les autorités coloniales. C’est ainsi que Abderrahmane Kioaune devint adjoint au maire d’Alger, Jacques Chevalier. Or, dans ce cas scabreux, Messali ne saisit pas l’occasion pour fédérer ses partisans et les activistes en vue d’une action révolutionnaire libératrice. Son souci principal fut de contrôler le parti. Pour lui, s’il devait y avoir une action armée, celle-ci devait être un moyen d’amener les autorités coloniales à négocier avec lui. Plus tard, ce retard est vivement reproché à Messali. En tout cas, les activistes jugent ces atermoiements comme étant le résultat de l’inaction du président Messali. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le retard est conséquent, de l’avis des activistes. Pour corroborer leur thèse, ils citent l’exemple des deux pays voisins, la Tunisie et le Maroc. En dépit de la souplesse du système des protectorats par rapport au système colonial, ce sont les Tunisiens et les Marocains qui engagèrent l’action armée. Or, les Algériens, bien qu’ils subissent le système colonial de plein fouet, restent immobiles. « Les événements du Maroc et de la Tunisie sont, à ce sujet, significatifs et marquent profondément le processus de lutte de libération de l’Afrique du Nord. A noter dans ce domaine que nous avions depuis fort longtemps été les précurseurs de l’unité dans l’action. Malheureusement jamais réalisée entre les trois pays. Aujourd’hui, les uns et les autres sont engagés résolument dans cette voie, et nous, relégués à l’arrière, nous subissons le sort de ceux qui sont dépassés. C’est ainsi que notre Mouvement National terrassé par les années d’immobilisme et de routine, mal orienté, privé de soutien indispensable de l’opinion populaire, dépassé par les événements se désagrège progressivement à la grande satisfaction du colonialisme qui croit avoir remporté la plus grande victoire de sa lutte contre l’avant-garde algériens », peut-on lire dans la proclamation du FLN du 1 novembre 1954. En effet, dès décembre 1953, les rapports des autorités coloniales débordaient d’enthousiasme en apprenant la crise qui secouait le parti nationaliste, le PPA-MTLD. En outre, la base est désormais au courant de la crise minant la direction du parti. Pour résoudre le conflit, Messali demande les pleins pouvoirs en vue de redresser le parti. Les centralistes refusent, dans le premier temps, en arguant que la ligne directrice du parti avait été ratifiée lors du précédent congrès du parti. Vers la mi-juillet, Messali réunit ses partisans en Belgique. Il exclut tous les animateurs du comité central. Ce dernier réunit, lui aussi, la conférence des cadres vers le début août. Les membres du comité central décident l’exclusion de Messali et de ses adjoints, Moulay Merbah et Ahmed Mezrena.
Dans ces conditions, pour paraitre crédible, il est difficile de se reconnaitre dans l’une des tendances et prétendre réaliser l’union du peuple algérien. En tout cas, cette ambigüité est levée dans la déclaration du 1 novembre 1954 : « Nous tenons à préciser, à cet effet, que nous sommes indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir. Plaçant l’intérêt national au-dessus de toutes les considérations mesquines et erronées de personnes et de prestiges, conformément aux principes révolutionnaires, notre action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi obstiné et aveugle, qui s’est toujours refusé d’accorder la moindre liberté par les moyens pacifiques », clarifient ainsi les activistes leur position. Tout compte fait, contrairement au parti traditionnel qui réclamait l’élection de l’assemblée constituante par tous les Algériens, le FLN avance le principe de « la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ». L’autre principe cher aux fondateurs du FLN est le respect de toutes les libertés fondamentales, et ce sans qu’il y ait la moindre entrave à leur exercice. Hélas, un demi-siècle après l’indépendance, les Algériens revendiquent encore le respect des libertés fondamentales du citoyen. Cependant, concomitamment à l’action armée, les chefs historiques du FLN proposent, aux autorités coloniales, la résolution du conflit en ouvrant la négociation avec les porte-parole autorisés du peuple algérien. Cette négociation doit aboutir à la reconnaissance de la souveraineté algérienne. En contre partie, l’Algérie indépendante respectera les intérêts français, culturels et économiques, honnêtement acquis. Les liens entre les deux pays ne seront, selon les fondateurs du FLN, plus dictés à Paris. Ils feront l’objet d’une négociation d’État à État. Par ailleurs, pour exhorter le peuple algérien à les suivre dans cette démarche, les fondateurs du FLN n’hésitent pas à lui rappeler sa situation de subalterne dans son propre pays : « Comme tu le constates, avec le colonialisme, la Justice, la Démocratie, égalité ne sont que leurre et duperie destinés à te tremper et à te plonger de jour en jour dans la misère que tu ne connais que trop », lit-on dans l’appel de l’ALN au peuple algérien. Néanmoins, déterminés à libérer le pays stoïquement, les initiateurs de l’action armée n’ont pas perçu le danger guettant la révolution de l’intérieur. En effet, une partie de leurs compatriotes n’avaient pas la même acception de la liberté pour le peuple algérien. En fin de l’histoire, ces malintentionnés ont attendu la fin de la domination coloniale pour en imposer la leur. Et le peuple algérien vit de privation en privation malgré les efforts consentis.
Par Ait Benali Boubekeur