par M. Saadoune, Le Quotidien d'Oran, 1er novembre 2011
Faut-il hausser les épaules à la veille de la commémoration du 1er Novembre ? Même si beaucoup de choses y incitent, y compris la compulsion commémorative officielle, il ne faut pas le faire. Ce serait un peu trop facilement participer aux entreprises destinées à favoriser l'amnésie. Nous sommes tous nés un Premier Novembre, même si aujourd'hui plusieurs générations cohabitent en Algérie. Il ne s'agit pas de sacraliser des hommes et des femmes qui ont agi contre une terrible adversité, constituée non seulement par un ordre colonial féroce mais aussi par une sorte d'accomplissement dans la destruction des ressorts de la société algérienne.
Le 1er Novembre a été la continuation du sursaut de vie du 8 Mai 1945. Et c'est bien parce qu'il est l'expression d'une volonté de résister à une néantisation absolue que le 1er Novembre résiste et doit résister à l'embaumement et à la neutralisation. L'instrumentalisation de l'histoire, en réalité une tentative de l'affadir, de lui enlever sa sève par les hommes du régime a fait illusion pendant quelque temps ; elle ne fonctionne plus maintenant. Les Algériens ont réussi, dans la sphère privée et contre la sècheresse de l'enseignement officiel, à conserver un lien intime avec leur histoire. Ils ne doutent pas que les objectifs de Novembre 54 sont l'indépendance du pays, la justice sociale et la liberté pour les Algériens.
Des objectifs encore inaccomplis qui mettent les acteurs successifs du régime dans une posture d'illégitimité permanente. Edulcorer le message du 1er Novembre, le momifier est une entreprise vaine. Et pourtant, on a bien essayé , et réussi souvent , à cultiver chez les Algériens la haine de soi, à les faire douter d'eux-mêmes. Et de leur histoire. Il est resté toujours ce lien intime qui est venu, en définitive, annihiler les entreprises de décervelage ; et maintenir vivace la finalité toujours renouvelée d'une Algérie libre avec des Algériens libres et égaux.
Et si les Algériens font des «histoires» au pouvoir, c'est bien parce qu'ils ont une Histoire à faire valoir. Certains ont été surpris, voire fâchés de découvrir que la majorité écrasante des Algériens était hostile à l'intervention de l'Otan en Libye. Quelques clercs ont tenté de décrypter ce rejet de l'intervention occidentale par un effet de la propagande du régime algérien. L'explication était d'autant plus forcée que le régime ne savait vraiment pas quelle attitude prendre sur l'affaire libyenne. En réalité, les Algériens n'étaient ni des défenseurs de Kadhafi ni des suivistes d'une propagande ambiguë du régime. Leur attitude est liée à leur histoire. Celle-ci façonne leur vision et leur permet, malgré les confusions, de garder quelques repères fondamentaux. Ils ne renoncent pas à la liberté et à la justice face aux tenants de l'ordre autoritaire interne. Ils ne doutent pas non plus que l'Otan leur a été historiquement hostile et qu'elle le demeure.
On ne hausse pas les épaules à Novembre. Car il est la permanence d'une exigence de liberté, de démocratie, de justice sociale et d'indépendance.