Par : Mustapha Hammouche
Même les ambassadeurs éprouvent les effets dévastateurs de notre bureaucratie. Arrivé en Algérie, il y a un mois, l’ambassadeur du Japon a déjà une idée précise de l’obstacle bureaucratique national. Il l’a confié, dans un entretien à El Watan (édition d’hier). Significatif : depuis une semaine qu’il s’y emploie, il n’a pas encore pu récupérer ses bagages à l’aéroport.
Il n’a pas dû avoir le réflexe de faire appeler par un de ces noms qui, dans notre pays, peuvent vous dispenser de toute formalité pour contourner les opérations de dédouanement, pour obtenir un crédit sans examen de dossier, pour décrocher une prise en charge pour soins à l’étranger, pour offrir une bourse d’études à son fils. Si vous n’êtes pas capable de déclencher ce genre de procédures d’autorité, et fûtes-vous un plénipotentiaire d’une puissance amie, vous devez vous soumettre à l’épreuve du lent et long chassé-croisé de paperasses qu’on vous délivre et qu’on vous exige. Ou, parfois, payer la diligence administrative de circonstance.
Tsukasa Kawada qui, lui, a lu Ibn Khaldoun, ne doit pas comprendre pourquoi, dans cette région du “soleil couchant”, on se complaît, des siècles après, à poursuivre le processus de décadence qui, justement, avait préoccupé le philosophe. L’ambassadeur va jusqu’à concéder que le Japon est critiqué pour ce fléau (la bureaucratie), avant d’ajouter qu’il a “l’impression que c’est un peu trop en Algérie”. L’ambassadeur dit avoir recueilli les avis des représentants d’entreprises japonaises dont il ressort que “l’Algérie est le marché le plus difficile du monde”. “Après la Corée du Sud”, en termes d’environnement des investissements, corrige-t-il, un peu… diplomate.
Après cette confession, s’impose, dans l’entretien, la question comparative entre l’efficacité commerciale de la Chine et les difficultés japonaises. On ne peut s’empêcher, en effet, d’observer que les Chinois, dont l’intervention dans le projet d’autoroute est-ouest s’est accompagnée de scandales de corruption, ont vu leur fructueuse collaboration à nouveau sollicitée pour la grande-mosquée d’Alger.
Il faut croire qu’on privilégie la coopération qui s’accompagne de malversations. Sinon comment expliquer que même après les affaires de l’autoroute est-ouest et du thon rouge, et dans un environnement aussi dissuasif, la présence croissante de Chinois et de Turcs ?
Il faut croire qu’en matière de coopération économique, il se forme comme des communautés culturelles en fonction du niveau de transparence qu’imposent les réglementations nationales. Normal alors que l’ambassadeur du Japon avoue, concernant la réussite des Chinois : “Je ne sais pas comment ils s’y prennent.”
La bureaucratie et son corollaire la corruption présélectionnent, pour le pays, ses partenaires potentiels. Cela serait dans l’ordre des choses si la dérive ne condamnait pas le pays à se priver de l’apport d’entreprises qui s’imposent l’efficacité dans ses opérations et la transparence dans ses marchés. La corruption dévoile la fonction de sélection de partenaires et de fournisseurs et la cupidité bureaucratique nous contraint à acquérir des équipements à technologie de seconde main et de produits d’imitation.
La bureaucratie est la face de la médaille, la corruption son revers. Ce système à deux volets hypothèque de manière absolue tout développement.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr