Si le projet de loi sur l’information est voté dans sa mouture telle que soumise à l’APN, les rares espaces de liberté arrachés de haute lutte par la corporation depuis la loi d’avril 1990 ne seront plus qu’un vague souvenir. Les nouvelles dispositions restrictives de la liberté de la presse contenues dans le projet gouvernemental ne se comptent plus. L’énoncé vague et sujet à toutes les interprétations de nombre de dispositions fait que le champ d’intervention des journalistes est réduit à sa plus simple expression : à la rubrique des chiens écrasés. Au nom de la raison d’Etat et de l’intérêt national, le journaliste est sommé de se taire et de s’interdire le moindre commentaire et analyse critique par rapport aux positions officielles.
La sacralisation de l’action gouvernementale et de la vie institutionnelle consacrée par le projet de loi touche quasiment tous les secteurs stratégiques et de souveraineté représentant un enjeu de pouvoir dans la perspective de la pérennité du système. A force de vouloir verrouiller à tour de bras on a fini par sombrer dans le ridicule au point de revenir à une compréhension archaïque, dogmatique, au patriotisme douteux de la notion de l’intérêt national devenu un fourre-tout, une espèce de carton rouge brandi à la face de tout libre penseur. Si le journaliste ne peut pas ou plus s’autoriser la moindre analyse et critique sur un dossier économique, un projet de développement, apprécier l’état de la coopération bilatérale avec un pays étranger, émettre des doutes, des réserves sur la justesse d’un choix économique, sur la conduite de notre diplomatie et sur bien d’autres domaines encore soulignés à l’encre rouge dans le projet de loi, il perd sa qualité de journaliste, de praticien de l’information pour devenir un propagandiste pur jus comme au temps du parti unique.
Pour avoir déjà fait les frais de l’interprétation souvent équivoque et peu conforme à la lettre et à l’esprit de la loi par les magistrats donnant la latitude au juge de lui faire dire ce qu’il veut, la corporation ne peut accueillir cette réforme de la presse annoncée par le pouvoir tambour battant qu’avec un fort sentiment de désenchantement et de crainte pour l’avenir de la liberté de la presse dans le pays. Ce projet de loi, que l’on a présenté comme le fruit d’une concertation avec la corporation de la presse et l’expression d’une volonté politique d’approfondissement du processus démocratique, donne un avant-goût du contenu des réformes politiques promises.
Ce coup de force du pouvoir pour imposer des réformes qui ne correspondent ni aux réalités de l’Algérie d’aujourd’hui ni au contexte géopolitique régional n’aurait pas pu avoir lieu avec une telle facilité et légèreté si la société dans ses différents segments était organisée, si les ressorts de la société civile n’avaient pas été cassés et s’il y avait de véritables contrepouvoirs pour empêcher les décideurs de faire et d’agir à leur guise. La presse, qui a déserté le terrain des luttes professionnelles et démocratiques pour des raisons diverses et diversifiées, paye aujourd’hui le prix de sa résignation et capitulation.