Mission parlementaire sur les émeutes de janvier 2011 : une enquête biaisée dès le départ
Katia Mehdi
La rue algérienne s’est révoltée en janvier dernier à cause de la pénurie de sucre et d’huile sur le marché. La conclusion est très vite tirée par la Commission parlementaire (lire nos révélations). Elle élude dans son rapport d’enquête toutes autres raisons, sociales ou politiques.
La commission d'enquête sur « la pénurie et la hausse des prix de certains produits alimentaires de large consommation sur le marché national », présidée par le député FLN Kamel Rezki, a suivi un fil conducteur tracé d’emblée par le gouvernement et n’a eu à aucun moment de l’enquête le courage d’explorer d’autres pistes.
Surtout, il n’était pas question pour la commission de faire le parallèle entre ce qui s’est passé dans le pays et la conjoncture régionale qui régnait à l’époque. « Le printemps arabe » ne nous concerne pas en Algérie, semble suggérer cette commission. Du coup, le rapport s’est noyé dans des détails techniques en rapport avec la gestion du marché. Mais même dans cet entêtement à vouloir maquiller la réalité, les enquêteurs de la commission parlementaire ont contribué, apparemment sans le vouloir, à mettre à nu les carences en matière de gestion des affaires de l’État et les incompétences des dirigeants.
Pour la énième fois, l’État se montre fragile face aux lobbys économiques et remet en cause un processus que ses institutions ont mis en œuvre dans le cadre des réformes économiques. On renonce au paiement par chèque pour calmer les grossistes. Ces derniers, qui sont la pièce maîtresse de l’enquête – bien évidemment si on admet la logique de l’enquête et les propos recueillis – n’ont même pas daigné répondre aux questions de la commission parlementaire.
Les grossistes sont-ils plus puissants qu’un ministre d’État ou qu’un opérateur économique ? La réponse est visiblement oui. Reste à savoir d’où ils tiennent cette force. Et qui les protège. La commission de Kamel Rezki omet de répondre à ces interrogations et se contente de se plaindre de ce comportement auprès du ministère du Commerce.
Quel est l’intérêt de cette enquête si elle ne contribue pas vraiment à élucider les énigmes ? Pourquoi tant de secrets sur un rapport qui, au final, ne nous apprend rien. Tout le monde est au courant du dysfonctionnement du marché. Les ministres interrogés par la commission étaient censés apporter des solutions. Ils se sont contentés de décrire une situation déjà connue de tous. Par ailleurs, l’enquête a remis sur le tapis l’étonnante incohérence de l’équipe gouvernementale. Nous avons assisté à des déclarations contradictoires entre les ministres interrogés.
Dans les coulisses, on apprend qu’Abdelaziz Ziari, président de l’APN, attend le feu vert du gouvernement pour rendre public ce rapport. Une copie aurait été adressée au président de la République. La Commission a donc bouclé sa mission mais le malaise social persiste dans le pays malgré le plafonnement des prix de l’huile et du sucre. D’ailleurs, après le plafonnement des prix, les émeutes se sont poursuivies, avec d'autres revendications. La Commission n'explique pas non plus pourquoi après les émeutes de janvier, le pouvoir a annoncé une série de « réformes politiques ».