Le sous-développement qui (nous) va bien
Par : Mustapha Hammouche
“L’université algérienne se porte bien”, a martelé le président de la république à Laghouat, au cours d’une adresse de quelques minutes.
Même si l’appréciation ne correspond pas précisément ni aux évaluations internationales, ni à la qualité de la production universitaire nationale, ni à ses effets sur la vitesse de développement du pays, un tel propos ne devrait pas forcément étonner. Le jugement doit être rapporté à la qualité de l’université qu’on ambitionne.
L’état de santé d’un organisme dépend de ce qu’on veut en faire. Si l’université va bien, c’est qu’elle répond à la fonction qu’on attend d’elle. Le diagnostic vaut pour tout le pays : l’Algérie, telle qu’elle est, va bien ; pourquoi son université, sa justice, son économie, sa santé, son agriculture, sa diplomatie n’iraient-elles pas bien ?
Il n’est pas nécessaire que le pays aille bien pour tous, pour les jeunes diplômés, pour les retraités, pour les militants des droits de l’homme. Il y en a pour qui elle va bien, tellement bien, qu’ils en redemandent et précèdent le président dans ses déplacements pour lui opposer bruyamment leur revendication d’un quatrième mandat.
Le pays (leur) va bien. Et le président aussi. Qu’il parle, souvent, pendant quatre heures, comme au début de ses premiers mandats, ou qu’il intervienne, rarement, pour quelques minutes, comme il le fait ces derniers temps. L’Algérie réelle, celle du court discours que le président a prononcé, leur va bien ; l’Algérie virtuelle, celle qu’on devine à travers le discours écrit que le président n’a pas lu, devrait nous aller. Toute la symbolique de l’arbitraire est dans le fait qu’il ne faut pas donner de signification à ce procédé inédit de diffusion médiatique d’un discours écrit que le chef de l’État aurait dû lire. Ici est figurée distinction entre le pays réel et le pays virtuel. Celui de la rente et de l’immobilisme politique, d’un côté, celui des virtuelles réformes, de l’autre.
Au moment où la police interpellait un militant laghouati des droits de l’homme à l’aéroport d’Alger, on pouvait lire dans l’adresse présidentielle que les réformes visent à “insuffler un nouvel élan à même d’ancrer le processus démocratique, conforter l’équilibre entre pouvoirs, garantir les libertés individuelles et collectives et les droits de l’homme, conférer davantage d’efficacité à l’activité associative, élargir la participation des citoyens à l’action politique et promouvoir le rôle de la femme et des jeunes” !
Ceux qui pensait que les réformes étaient mal parties parce que le Parlement, en examinant les premières “lois de réformes” auraient travesti la version du président et attendaient son intervention sont avertis : Bouteflika est satisfait de la tournure prise par son projet, celle d’une remise en cause des petites niches de droits et libertés arrachés au lendemain de la révolte d’octobre 1988.
Parce qu’il est tout entier conçu pour défendre sa nature autoritariste, le système algérien n’est pas réformable de l’intérieur. Et pour cela, il peut se satisfaire même d’une Algérie qui se “sous-développe”, tout en attestant qu’elle va bien. Tant que la rente le permet.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr