Par : Mustapha Hammouche
L’ancien ministre et membre du HCE, Ali Haroun, a déclaré que l’Algérie n’a eu aucune élection honnête depuis son indépendance. Dite par un opposant traditionnel, cette vérité aurait le goût d’une fade évidence.
S’étant associé à la courte expérience de rupture tentée par Boudiaf, mais stoppée net par les vigiles du système rentier, et ayant codirigé une formation politique qui se proclame de la démocratie, on doit concéder à Haroun que, comme quelques rares hommes du sérail, il ne représente pas une de ces facettes les plus funestes du système : l’absolutisme despotique, le sectarisme culturel, la régression populiste… Même si ce profil BCBG, en contribuant à rendre plus présentable un système caractérisé par la pratique de l’arbitraire et de la brutalité, l’aura probablement plus aidé à se maintenir qu’à évoluer.
En tout état de cause, cette intervention nous donne opportunément le prétexte de nous poser la question qui devra bien être posée un jour : celle de savoir comment une large élite révolutionnaire qui s’est distinguée par l’esprit de sacrifice, et souvent par le sens de la prospective, dans son engagement collectif de libération nationale, n’a pas su trouver les ressources intellectuelles et psychologiques pour œuvrer à la libération du citoyen tombé du joug colonial dans l’arbitraire politique ?
Car il n’y pas eu, au cours de ces cinquante ans de dictature, de mouvement autonome et significatif d’“historiques” tendant à contrecarrer l’option autoritariste qui, dès la guerre, avait pris le dessus sur les courants modernistes et démocratisants qui traversaient le FLN. Sinon quelques individualités qui, vite, ont connu la solitude de l’exil et de la marge. Dans la mentalité FLN globale, le pouvoir est affaire de sérail, d’états-majors, de réseaux, de forces, de solidarité de coteries et de tribus : le peuple est une fiction convoquée pour soutenir et applaudir à l’occasion les options tranchées dans des batailles, parfois sanglantes, entre clans. Les vainqueurs du dernier putsch ou de la dernière recomposition des forces sont forcément, et provisoirement, légitimes. Et doivent s’imposer, par tous moyens, au peuple.
Dès 1962, “les héros sont fatigués”, comme le veut la formule-titre du film, significatif, d’Yves Ciampi. Ou peut-être que, dans ce contexte postrévolutionnaire, l’indépendance s’imposait-elle naturellement pour eux, comme “la fin de l’Histoire”, au sens de Fukuyama. Un peu comme ce que fut, un moment, la chute du mur de Berlin, pour la pensée occidentale.
Toute autre cause ne pouvait que faire de l’ombre à la cause des causes. Bardés d’une légitimité inégalable, nos héros pouvaient se reposer à l’ombre des casernes, reconquises et recyclées dans le maintien de l’ordre. Cette supra-légitimité les dispensent de rendre compte de leur indifférence et de leur renoncement face à la souffrance d’un peuple éprouvé par l’injustice et par la pression de la bureaucratie, des vigiles du Parti et des polices.
Tout le piège du tiers-mondisme dictatorial est dans ce découplage coupable du peuple et du citoyen, de l’indépendance ce et de la citoyenneté.
Dommage : la liberté des peuples anciennement colonisés n’aura pas été le fruit de la libération de leurs territoires. Mais celle d’un autre combat, d’une autre génération.
M. H.
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