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Raport 2011 d’Amnesty International: L'Algérie au banc des accusés

 

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Bouteflika harangant la foule lors d'un meeting électoral Bouteflika harangant la foule lors d'un meeting électoral

Le rapport 2011 d’Amnesty International sur la situation politique en Algérie dans le contexte des Révolutions arabes, établit un sévère réquisitoire contre l’ "autocratie" (c'est son terme) du pouvoir algérien que l'ONG accuse d’atteintes graves au respect des Droits de l’homme et d’être responsable avec l'ex-Fis des 200.000 morts de la décennie noire…

Les analyses faites par les confrères de la presse nationale du rapport d’Amnesty International 2001, dans sa partie relative à "La situation des droits humains au Moyen Orient et en Afrique du Nord de janvier à la mi-avril 2011" ont isolé la partie concernant l’Algérie alors qu’elle est incluse ainsi que le titre l’indique dans l’ensemble des pays du Moyen Orient et du Maghreb qui ont, pour la plupart, connu les Révolutions arabes qui ont entraîné la chute de leur dictature. Le bilan établi par ce rapport lie l'Algérieavec ces pays en ébullition. Comment?

"En Algérie, l’autocrate a maintenu l’Etat d’urgence durant 19 ans"

D’entrée, Amnesty considère l’Algérie comme pays sous autocratie, ayant son "autocrate" terme employé dans le rapport. Enumérant la longévité de ces règnes dictatoriaux, le rapport écrit:

"Au début de 2011, les pays qui allaient être ébranlés par la révolte étaient dirigés depuis des décennies par les mêmes hommes ou les mêmes familles – 23 ans pour le président tunisien Zine el Abidine Ben Ali, 30 ans pour le président égyptien Hosni Moubarak, 42 ans pour le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, près de 200 ans pour la famille al Khalifa à Bahreïn, 33 ans pour le président yéménite Ali Abdullah Saleh, 40 ans pour le sultan Qaboos bin Saïd à Oman et la famille el Assad en Syrie, et plusieurs centaines d'années pour la famille al Saoud en Arabie saoudite. Dans plusieurs de ces pays, les fils des dirigeants, eux-mêmes fils d'anciens dirigeants, étaient préparés à prendre la succession de leur père. Les autocrates à la tête de trois de ces pays maintenaient l'état d'urgence sans interruption depuis des années : 38 ans en Syrie, 30 ans en Égypte et 19 ans en Algérie."

L’ONG inclut donc l’Algérie dans les pays ayant été ébranlés par la révolte populaire : la Tunisie, l’Egypte, la Libye, le Yémen et la Syrie par un trait commun : le maintien de l’état d’urgence, le plus court en Algérie ; ce qui n’explique pas le fait que l’onde choc ne l’ait pas atteinte. En filigrane, les méthodes employées par ces régimes afin de se maintenir au pouvoir vaille que vaille, outre l’Etat d’urgence, sont similaires à celles auxquelles a eu recours le pouvoir algérien dans la panique générée par les révolutions arabes. Le rapport établit un lien implicite mais assez éloquent quant à la similitude des approches :

"Les dirigeants du Yémen, de la Libye et de Bahreïn avaient atteint le moment où ils semblaient au bord de la défaite, et la plupart avaient introduit des réformes à la hâte, promis de ne pas se représenter pour un nouveau mandat ou renvoyé leurs gouvernements dont ils avaient fait des boucs émissaires en raison de leur impopularité. Certains ont distribué de l'argent à la population ou lui ont promis de nouveaux emplois et un logement. Beaucoup ont intensifié la répression et fait couler le sang de leur peuple."

En effet, dès les premières insurrections populaires en Tunisie, le pouvoir algérien a levé dans la forme l’Etat d’urgence, annoncé à la hâte des réformes politiques, relancé sur le tas l’emploi des jeunes par le biais de l’ANSEJ.
Dans l’ouragan des protestations qui allaient grandissantes, l’Algérie était considéré comme l’un des pays épicentre de la zone sismique. C’est ce que relève le rapport :

"Les protestations continuaient dans presque tous les pays de la région, tant en Tunisie et en Égypte pour maintenir la pression en faveur d'un véritable changement, qu'en Syrie et au Yémen où il était difficile de déterminer si les manifestations ou la violence étatique allaient prendre le dessus, ou en Algérie, à Bahreïn, en Irak, en Jordanie, dans le sultanat d'Oman, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et même en Arabie saoudite, où les manifestations se prolongeaient. » de leurs droits fondamentaux"

Le rapport met ainsi en exergue le fait que le système politique algérien secrète toutes les raisons de la colère des citoyens de Tunisie, de Lybie, d’Egypte, du Yémen et de Syrie:

"Des revendications et des aspirations communes sont également apparues. Les manifestants ont condamné les dictateurs, les monarques absolus et les États à parti unique et ils ont réclamé la liberté et la possibilité de choisir leur propre gouvernement. Ils ont dénoncé la corruption, les brutalités policières, le chômage des jeunes, la pauvreté, les mauvaises conditions de logement, la hausse des prix des denrées alimentaires ainsi que la répartition inéquitable des emplois et de la richesse et l'inégalité des chances. Dans tous les pays ils ont exigé le rétablissement de leur dignité et de leurs droits fondamentaux."

"Le conflit entre le pouvoir et les islamistes du FIS a couté la vie à 200.000 Algériens innocents"

Pourtant, relève le rapport, bien que les Algériens aient eux aussi protesté "les manifestations n’ont pas eu la même ampleur qu'en Tunisie, en Égypte et en Libye. Ce pays, à population majoritairement jeune – la moitié des 35 millions d'Algériens ont moins de 25 ans –, est confronté aux mêmes problèmes politiques et économiques que ses voisins, y compris un taux de chômage de plus de 30 %."

Pour quelles raisons?  Pour l’ONG, la principale expliquation se trouve dans le fait que " de nombreux Algériens sont toujours hantés par le conflit armé des années 1990, déclenché lorsque l'armée a annulé les élections que le Front islamique du salut (FIS) était en passe de remporter et imposé l'état d'urgence. Le conflit sanglant qui a coûté la vie à 200 000 Algériens, selon l'estimation du gouvernement, a été marqué par des atteintes flagrantes aux droits humains, notamment des homicides illégaux de civils, des milliers de disparitions forcées, des détentions arbitraires, des enlèvements, des viols et d'autres formes de torture. Ces crimes ont été perpétrés par les deux parties au conflit contre une population civile sans défense."

L’ONG met ainsi dos à dos le pouvoir algérien et le terrorisme islamiste dans le drame des années 90. Les Algériens ne se sont pas soulevés avec les peuples frontaliers pour dénoncer la même situation, la même dictature, la même corruption en raison du danger que répréentent ces deux parties en conflit : le pouvoir algérien et les islamistes du FIS ayant ensanglanté le pays alors qu’il n’était pas concerné. Sur ce point, Amnesty International n’accuse pas seulement le pouvoir algérien de népotisme; il est responsable des 200.000 morts, de "détentions arbitraires, des enlèvements, des viols et d’autres formes de torture". Ce n’est pas la première fois qu’Amnesty International porte ces accusations sur le régime algérien. Mais, dans ce rapport de l’année 2011, celles-ci sont d’autant plus lourdes qu’elles s’inscrivent en droite ligne avec les réformes de Bouteflika qui tente de se disculper de ces accusations en essayant de prendre de la distance avec l’ex-Fis en en interdisant le retour à la légalité.

"Les atteintes graves aux droits humains n’ont pas été abordées de manière satisfaisante"

Pourtant, malgré cette hantise d’une autre "guerre civile", les émeutes ont lieu. Le rapport établit une synthèse des situations de révoltes réprimées dans le sang par le pouvoir qui a été amené à céder sur les revendications socioéconomiques avant de mettre en œuvre une panoplie de réformes politiques fin février 2011:

"Des manifestations sporadiques ont suivi et, le 24 février, le président Abdelaziz Bouteflika a levé l'état d'urgence imposé depuis 19 ans et promis d'autres réformes. Toutefois, à la mi-mars, les forces de sécurité ont de nouveau dispersé des manifestations à Alger : l'une organisée par des jeunes militants sur Facebook et l'autre à l'initiative de la Coordination nationale pour le changement démocratique (CNCD)."
Le rapport précise que les revendications des émeutiers  étaient plus focalisées sur  l'obtention de réformes plutôt que sur une demande de démission du gouvernement. Pourquoi ? Le rapport insiste sur la méfiance des Algériens du danger que représente "l'agitation politique dans un pays dont l'histoire récente est maculée de sang et dans lequel les séquelles des atteintes graves aux droits humains n'ont toujours pas été abordées de manière satisfaisante." et donc restées impunies.

Les émeutes se propagent après les réformes qu’elles ont précédées…

Ces deux questions majeures posées et clairement énoncées, à savoir le danger mortel des deux parties en conflit, le parti-Pouvoir et l’islamisme politique qui ont généré la décennie noire et, de l’autre, les séquelles de celle-ci, encore vives et restées pendantes sur les atteintes graves au droit de l’Homme, le rapport énumère froidement, sans commentaire aucun, avec un effacement significatif, la panoplie des réformes engagées par Bouteflika. Rejétées à la fin de la partie "Algérie", Amnesty International y voit sans doute une panacée subsidiaire, incapable d’apporter une réponse aux revendications des Algériens. Voici comment ces réformes sont énumérées: "Le 15 avril, le président a annoncé des réformes en vue de « renforcer la démocratie » comprenant la révision de la loi électorale et la désignation d'une commission de réforme constitutionnelle. L'adoption d'une nouvelle loi sur l'information a également été annoncée pour remplacer les dispositions existantes du Code pénal, en vertu desquelles les journalistes, entre autres, reconnus coupables de « diffamation » envers le président ou d'autres institutions étatiques, sont passibles d'une peine maximale d'un an d'emprisonnement assortie d'une amende pouvant atteindre 250 000 dinars (soit 3 500 dollars). Le président a également annoncé une réforme de la loi sur les organisations de la société civile."

Le rapport ne termine pas cette énumération sèche des réformes sans les inscrire dans un mouvement de protestation populaire qui continue et prend de l’ampleur ( dans ses manifestions et les répressions qui s’en suivent dans les régions de Skikda, Laghouat, Ouargla) ce qui atteste la minorisation des réformes de Bouteflika par le rapport d’Amnesty de l’année 2011 puisque les craintes formulées se concrétisent au moment même de la publication du Rapport de l’ONG: "Au moment de la rédaction du présent document, les Algériens continuaient d'organiser des grèves et des manifestations pour réclamer des réformes de grande ampleur et le respect de leurs droits fondamentaux, et les étudiants de l'université défiaient les forces de sécurité en manifestant dans les rues d'Alger."
R.M

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