El Watan, 3 mai 2012
L’espace audiovisuel algérien est en mouvement. En dépit des interdits et des contrôles à tous les niveaux, de nouvelles chaînes de télévision s’installent comme El Djazaria, Echourouk TV, Dzaïr TV et Ennahar TV.
Les journaux El Watan et El Khabar travaillent actuellement pour lancer leurs chaînes également. La citadelle ENTV connaît ses premières secousses. El Yatima, l’orpheline, surnom qui lui colle à la peau comme une matière visqueuse, n’aura plus le monopole de l’image. Cette télévision, qui se vide déjà de ses meilleurs journalistes et techniciens, continue à recycler la pensée unique. L’ex-RTA, plongée dans la bureaucratie et la mauvaise gestion, est insensible aux appels au changement qui émanent de la société. Cette télévision qui, chaque année, engloutit des milliards de dinars d’argent public et qui ne publie aucun bilan de ses activités, ignore les grèves, les protestations de rue, les cas d’immolation, les violences urbaines, les critiques de l’opposition, les revendications des syndicats autonomes…
Bref, l’ENTV, qui ne possède aucune grille reconnue de programmes, n’est pas la chaîne de télévision de tous les Algériens, la chaîne publique. Elle est réduite à un simple canal de propagande officielle. Le travail que mène actuellement cette télévision pour «convaincre» les Algériens d’aller voter est un parfait exemple. Malgré cela, le ministre de la Communication, Nacer Mehal, se présente comme un avocat de l’ex-RTA. «Je veux qu’on arrête de critiquer la Télévision nationale car si j’ai été le premier à faire son procès, et je le revendique, je suis aussi le premier à la défendre», a-t-il soutenu dans entretien à l’agence APS. Faudrait-il dire alors «tout va bien» ? Il est clair qu’avec un tel état d’esprit, aucune avancée ne sera possible. Il est donc légitime que les Algériens regardent ailleurs. Le plus curieux est que les chaînes qui diffusent actuellement sur le satellite égyptien Nilesat ne peuvent pas le faire en direct à partir d’Alger.
Elles sont obligées de localiser l’émission des signaux en dehors du pays.
C’est simple : les initiateurs de ces nouvelles chaînes algériennes sont considérés comme des étrangers dans leur propre pays ! Une stupidité qui n’inquiète personne parmi le cercle large de ceux qui décident en Algérie. Au contraire, le gouvernement, qui fait de belles promesses aux invités étrangers sur «le paradis» démocratique en Algérie, traîne les pieds. Ne fait aucun effort et multiplie les déclarations. M. Mehal a annoncé, interrogé par nos confrères de l’Expression, que des «consultations» seront lancées en octobre 2012 avec les professionnels pour «élaborer» le projet de loi sur l’audiovisuel. Pourquoi n’avoir pas commencé ces «consultations» en janvier ou en février 2012 pour élaborer ce texte avec «le paquet» des autres lois relatives aux «réformes» dont la liberticide loi sur l’information ? Pourquoi avoir attendu tout ce temps ? Il est évident que les autorités ne veulent pas d’une ouverture réelle du champ audiovisuel en Algérie. Une ouverture qui peut leur échapper.
Après les législatives du 10 mai 2012, un nouveau gouvernement sera nommé. Gouvernement qui pourrait avoir d’autres priorités, pas forcément la loi sur l’audiovisuel. Octobre 2012 sera la période du déroulement des élections locales. Début 2013, le débat va se concentrer sur la révision de la Constitution par référendum. Ce sera suivi, lors de la deuxième moitié de 2013, par le début de la précampagne pour la présidentielle de 2014. Même si la loi sur l’audiovisuel était votée dans des conditions que l’on ne connaît pas puisque cela dépend de la composante de la prochaine Chambre basse du Parlement, il faudra encore attendre des mois avant l’installation de l’Autorité de régulation. Une fois installée, cette Autorité devra adopter son règlement intérieur et ses statuts, elle prendra tout le temps qu’elle veut avant de passer aux choses sérieuses.
Ce n’est qu’après que les dossiers des nouvelles chaînes seront «étudiés, épluchés et examinés»… Autant dire qu’avec cette bureaucratie voulue, aucune ouverture du champ audiovisuel n’est possible avant cinq ou six ans. Peut-être.
Fayçal Métaoui
Télévision et radio publiques : l’opposition et les syndicats toujours interdits d’antenne
L’ENTV demeure fidèle à ses pratiques de censure. Nous ne constatons aucun changement, aucune ouverture.
L’Unique couvre seulement les officiels et boycotte l’opposition», déplore le docteur Mohamed Youcefi, premier responsable du Syndicat des spécialistes de santé publique (SNPSSP). 50 ans après l’indépendance, les citoyens regrettent que la liberté d’expression et d’information soit toujours bafouée en Algérie. Le syndicat des spécialistes, à l’instar des organisations autonomes, dénonce l’embargo des médias publics (audiovisuels notamment) imposé sur leur activité. Pour eux, les réformes annoncées par le président de la République restent lettre morte, puisque sur le terrain, la situation demeure toujours la même. Des grèves secouent plusieurs secteurs, mais l’Unique n’en souffle pas mot.
Des citoyens se plaignent de la cherté de la vie, de la pénurie de médicaments, de la misère, du manque de logements, et la chaîne publique continue de servir des discours de ministères évoquant la distribution de milliers de logements, de la pomme de terre qui ne fait pas défaut, de l’absence totale de pénurie de médicaments… «La télévision algérienne est financée par le contribuable. Elle est censée donc être au service du citoyen. Malheureusement, en Algérie, ce n’est pas le cas», attestent les syndicats activant dans différents secteurs. Ces derniers ne comprennent pas l’attitude et la démarche de l’Unique qui donne la parole à un ministre qui menace les syndicats de ponction sur salaire et en parallèle, elle ne donne pas la parole à ces syndicats pour défendre leur cause et informer les citoyens de ce qui se passe. Selon eux, il s’agit là d’une pratique anticonstitutionnelle puisque le droit à l’information est une obligation. Le docteur Youcefi explique que les journalistes de cette chaîne ainsi que ceux exerçant à la radio font leur boulot convenablement, mais dans la plupart des cas, leur travail est censuré.
Pour appuyer ses dires, le syndicaliste donne un exemple édifiant. Selon lui, la semaine dernière, une équipe de la radio s’est déplacée au ministère de la Santé pour couvrir le sit-in des praticiens. «Les journalistes ont respecté les règles de déontologie en donnant la parole à tout le monde. Seulement, lors de la diffusion de cet événement, la radio, comme la télévision, l’on a entendu que la partie officielle, à savoir le ministre de la Santé», déplore-t-il. «Nous avons pris attache avec les responsables de la radio pour demander des explications. Ceux de la rédaction nous ont clairement signifié qu’ils ont reçu des instructions d’en haut», affirme le docteur Youcefi qui se dit outré par une telle pratique.
Il précise qu’il est normal que la Algériens se rabattent sur les chaînes étrangères pour s’informer et s’exprimer. Des syndicats, des fonctionnaires, des universitaires sont également «interdits» d’antenne en raison de leur position critique. «Nous sommes boycottés par l’Unique, car nous n’épousons pas les idées du pouvoir, mais nous sommes sollicités par les chaînes étrangères. C’est pour nous une opportunité pour expliquer aux Algériens qui tournent le dos à l’Unique nos préoccupations», note un enseignant. Les partis politiques d’opposition sont également victimes de cette censure. Les partisans du boycott des législatives, par exemple, n’ont aucune chance de passer à la TV et à la radio.
Nabila Amir