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Hollande : un voyage inutile et regrettable - Par Mohamed Benchicou

 

 

Il aurait eu plus d'effet avec une barbe et une perruque blanches, un bonnet rouge, une paire de bottes.

Hollande : un voyage inutile et regrettable - Par Mohamed Benchicou

Dans Alger où l'on ne célèbre plus Noël depuis l'éveil du puritanisme islamiste, cela aurait, ma foi, donné un peu de piquant à cette visite qui en manqua tellement. Parce qu'enfin, la France, depuis toujours, et surtout à cette période de l'année, la France ça a la saveur des bonbons, des chocolats, des grands pains d'épices, des cadeaux pour tous, pour les uns mais aussi pour les autres, des éloges à Bouteflika qui sonnent déjà comme autant de soutiens au prochain mandat l'autocrate algérien, mais aussi quelques visas de plus à ceux-là, pour accompagner... Oui, en Père Noël, à la rigueur.

Mais, rétorquerait-on du côté de Bercy, cette France sans le sou, n'a même plus de friandises à mettre dans sa hotte. Et puis, cela aurait fait trop Saint-Nicolas. Quel mauvais goût, aurait ajouté Mme Benguigui ! Non, pas Saint-Nicolas dont on se souvient qu'il vint lui aussi à Alger, un mois de décembre de l'an 2007, sur son pakjesboot, avec sa grande barbe blanche et sa mitre, et qui repartit avec un chèque de 5 milliards de dollars, confirmant le paradoxe des temps qui courent : le père Noël vient moins pour les cadeaux que pour le bol de lait que les enfants déposent devant la cheminée. François Hollande, c'est la France en crise mais une France élégante, qui tient à sauver les apparences. Cela dit, cette fois, l'exercice s'avère un peu ardu. Car enfin, M. Hollande, qu'êtes-vous donc venus faire, chez nous, à Alger livré aux barbouzes-proxénètes si ce n'est de serrer la main aux barbouzes proxénètes, ceux-là même dont on dira demain "on ne savait pas", demain, quand il sera trop tard ? Bouteflika, qui feint de ne pas avoir entendu les réponses un tantinet méprisantes de Paris aux revendications algériennes de repentance pour les crimes coloniaux, sera le seul gagnant de ce safari regrettable.

Sauf à faire l'injure à François Hollande de le classer parmi ceux, chérubins sans avenir, qui pensent pratiquer la politique sans cynisme, nul ne pourrait donner crédit d'innocence à sa démarche. Il restera de son voyage à Alger comme un arrière-goût de tromperie, une sorte de délit de compagnonnage avec un des derniers autocrates arabes encore en exercice et qui n’en demandait pas tant. Il n’y a qu’à lire le subtil article du Point pour le deviner : "C'est Hollande qui doit être fêté et pourtant les drapeaux français sont rares, clairsemés dans la foule, alors que les couleurs algériennes et les portraits de Bouteflika sont partout. Au milieu des youyous et des déflagrations de pétoires en tout genre, on entend des cris d'amour adressés à Bouteflika et des "One two three Algérie" chantés par des jeunes déchaînés. On se demande alors qui, du chef de l'État français ou de son homologue algérien, est la vedette de cette fête." Quelle urgence y avait-il à se pavaner avec un autocrate affaibli politiquement, isolé sur le plan international, et dont la France ne pouvait ignorer qu'il se maintient au pouvoir par la trique, le bakchich, le mensonge et tous ces outrages répétés aux valeurs démocratiques ? N'est-ce pas M. Fabius qui, parlant de la France et des révoltes arabes devant les étudiants de sciences politiques, en juin dernier à Paris, rappelait solennellement qu'"il n’est pas de société libre sans possibilité d’alternance politique et sans pluralisme", lançant cette promesse sentencieuse qui résonne encore à nos oreilles : "Nous dénoncerons toute tentative de confisquer le pouvoir ou de restreindre les droits démocratiques" ?

A voir les scènes d’Alger, le serment est plutôt mal parti. Nous espérons, pour la réputation de la diplomatie française et la légende de Talleyrand, que M. Fabius ne s’est pas laissé prendre par toutes ces fadaises que le président algérien, avec de nouveaux accents de prophète démocrate, a cru habile d'aligner dans sa grotesque interview à l'AFP. Il ne lui manquait que le nez rouge quand, pathétique, il affirmait vouloir réformer le système et "amener notre dispositif législatif et réglementaire aux standards universels actuels". Il y avait du Machiavel et du Scapin dans ce personnage qui se désavouait publiquement, ne répugnant pas à se revendiquer des réformes de 1989, celles-là dont il avait pourtant déclarées qu'elles avaient affaibli l'Algérie et "l'avaient livrée à un "totalitarisme millénariste" et "à un déferlement de violence brutale". (El-Moudjahid, 7 juin 2005). Le revoilà, sept ans plus tard, partisan des révoltes d’octobre 1988 qu’il avait qualifiées de "la plus grande fitna (crise sanglante) jamais connue depuis l’ère d’Ali Ibn Taleb."

Dans sa posture délicate, Bouteflika est prêt à promettre la lune à tous ceux qui lui épargneraient le sort de Ben Ali. La lune ou quelque chose de démon, comme dirait Caligula. La Constituante, la démocratie, l’alternance, le bonheur… Il sera Mandela, Mirabeau, Barnave, Cazalès et même l'abbé Maury, pourvu qu'il reste un peu Louis XVI et plus du tout "Bouteflika l’indésirable", "Bouteflika dégage !", quelle infamie ! Il laissera les représentants du peuple décider de l'avenir, il abolira les privilèges féodaux, réhabilitera le tiers Etat, supprimera tous les titres de noblesse, pourvu qu'il demeure roi. Le temps que se taise le vacarme d’une révolution qui a déjà emporté trois dictateurs arabes.

L'avez-vous donc cru, cher François Hollande, qu'on surprend à Alger porteur d'éloges envers celui qui a violé la Constitution algérienne pour rester au pouvoir à vie ? A l’heure où les tyrans chutent face à la rue survoltée, quoi de plus salutaire qu’une gloriole dite par un dirigeant du "monde libre" ? C’est cela, le but de la politique, pour Machiavel, faire croire, puisque la finalité ce n'est pas la morale mais la réussite : obtenir et conserver le pouvoir ! La politique est un art de la dissimulation au nom de l'efficacité. Et l’efficacité, ici, c’est s’assurer de sa propre succession pour 2014 ! Je ne crois pas que l'Elysée soit dupe de tout cela. M. Hollande qui, en dépit des apparences, n'est pas connu pour son goût pour la sainteté, n'ignore pas que chez nous, la politique reste la science des forbans, une basse aptitude, celle de se jouer des esprits communs, à tromper, louvoyer, pour la seule finalité qui compte, conserver le pouvoir personnel, y compris dans les moments les plus désespérés. Que la méthode rencontre encore quelque succès auprès de ce gotha de l'esbroufe et du mensonge qu’est devenue la classe politico-médiatique algérienne, est chose fort logique. Chez nous, la politique a fini par devenir chose de vils entremetteurs et la presse affaire de Jourdain enrichis et de barbouzes reconvertis.

Nous savions depuis Balzac que l'hypocrisie est, chez une nation, le dernier degré du vice. Ajoutée à l’ignorance et à la fatuité des prévôts, elle devient, chez nous, un mode de gouvernance. C'est comme ça. Mais la France, cher M. Hollande, la France de gauche, c'est censé être différent ! On attendait du nouveau pouvoir de gauche qu'il laissât à la droite cette besogne peu originale qui consiste à faire commerce du narcissisme de Bouteflika, de son manque d’épaisseur et de son envoûtement pour la France. Chirac comme Sarkozy, en ont fait un profitable business. Cela suffit. L'épisode de l’association entre Gaz de France (GDF) et Sonatrach, suggéré par Sarkozy et accepté par Bouteflika, est encore dans les esprits. Oui, on avait espéré du nouveau pouvoir socialiste, par fidélité à Jaurès, qu'il divorcerait avec cette tentation française de vouloir se servir de ce président fasciné par la France.

Après tout, cela relève d'une nostalgie de la vieille France bourgeoise, quand Alexandre de Marenches, "pacha" du SDECE, disait : "L’Algérie, c’est la profondeur stratégique de la France". Entre Jaurès et Alexandre de Marenches, il faut choisir, même si des esprits savants nous répètent que l'avenir de la France en tant que puissance influente est moins en Europe où elle est surclassée par l’Allemagne mais dans le sud, salutaire nouvel espace économique et politique où elle pourrait prendre le leadership. Ah oui, il y a le Sahel. L'intervention militaire au Mali. Mais Bouteflika avait tout accepté il y a un mois de cela ! Il y a bien longtemps que l'Algérie n'a plus de voix et que sa diplomatie ressemble à ces anciens charmes de créatures autrefois belle et que l'on n'évoque plus que pour maudire le temps qui passe trop vite.

En juin dernier, Laurent Fabius déclarait vouloir assumer le paradoxe de Jacques Berque qui disait en 1956, à propos du monde arabe : "Nous avons le devoir de contribuer à de jeunes libertés, ne fût-ce que pour ménager en elles notre place. Proclamer l’avenir de la chose franco-arabe, au moment où beaucoup, parmi les autres et parmi nous, le déchirent, l’audace semble paradoxale. Je soutiendrai ce paradoxe…". Il ne suffisait donc pas de choisir entre Jaurès et Alexandre de Marenches, il faut encore y ajouter Jacques Berque ! La partie ne s'annonce pas simple pour Hollande ni pour Fabius. Joyeux Noël quand même !

Mohamed Benchicou

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