Dans les pays avancés où l'opinion publique compte, les sondages se font régulièrement sur des questions essentielles liées au destin commun ou sur d'autres plus superflues. Dans les autres pays, par contre, ces sondages sont inexistants, les régimes contrôlant les élections et les électeurs tout comme les pensées et les penseurs, sur une idée forte d'isolation : «Si tout le monde sait ce que tout le monde pense, il sera difficile de vendre n'importe quoi à tout le monde.» C'est cette logique de la fragmentation permanente, conduisant chacun à naviguer sans savoir ce que pense l'autre, qui permet à un régime autocratique de durer.
Sauf que dans d'autres pays, encore, le sondage est plus complexe à mettre en œuvre car les sondés ne sont pas tous égaux. Dans le cas du pays que l'on connaît le mieux, que pourrait-on y sonder si on en avait l'occasion ? On pourrait commencer par une question classique : «Pensez-vous que la prochaine élection sera honnête ?» Ou équivalente : «Souhaitez-vous que Bouteflika se présente à la prochaine élection ?» On pourrait ici ajouter une question spécialement dédiée aux Algériens : «Voulez-vous que votre réponse au sondage apparaisse ?» Plus pernicieuse encore, une question qui ne se pose pas en démocratie : «Pensez-vous que ceux qui réalisent ce sondage sont des gens sérieux ?» Ou : «Pensez-vous que ce sondage sera publié et que ses résultats seront vrais ?» Mieux : «Pensez-vous que le résultat de ce sondage, s'il est vrai, influera de quelque manière que ce soit sur quelque chose ?» Sauf qu'à partir de là, étant entendu que le régime ne veut pas de sondages, on peut se demander si les sondés en veulent. Question subsidiaire tout aussi perverse : «Pensez-vous que votre voisin donnera la même réponse que vous à ce sondage ?» Oui, le jour où les sondages seront tout à fait banals en Algérie, il faudra que le statisticien soit aidé par un psychiatre.
Chawki Amari