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  • affaire Nezzar: REPONSE A MAAMAR FARAH

     

    « Pour en finir avec l’affaire du tribunal suisse. » Tel est le titre de l’article signé par Monsieur MAAMAR FARAH et paru dans le Soir d’Algérie du 13 août 2012. En vérité, cette affaire ne finira jamais avant d’avoir livré tous ses secrets, car on ne peut garder le silence sur tout ce qui s’est passé durant ces deux dernières décennies et même avant.

    MAAMAR FARAH a le mérite d’afficher sa franchise et c’est tout à son honneur ; il déclare notamment qu’un journaliste ne peut être objectif. Tout le monde le savait mais il a le mérite de nous le rappeler. Il nous apprend plus loin que les initiateurs du coup d’état de janvier 1992 (« les sauveurs du système républicain », selon lui), tablaient sur 60000 morts et les patrons de presse avaient été tenus informés de l’imminence de cette initiative et de ses lourdes conséquences. Cet aveu fait de sa corporation une complice à part entière, car très informée à la veille de l’opération, tout ce qui a pu être écrit par la suite dans leurs feuilles de chou – pour employer un euphémisme – ne pouvait l’être que dans le cadre d’une vaste opération de propagande.

    Monsieur MAAMAR FARAH ne peut concevoir qu’on ait plus de deux avis. Soit on est dans le camp islamiste, soit dans le camp de ceux qui soutiennent l’intervention de l’armée. Cette vision binaire et manichéenne est très réductrice et résulte de la lobotomisation et du formatage qu’il a subi, lui et la quasi-totalité de sa corporation, depuis le coup d’état de l’été 1962.

    Il existe pourtant une troisième voie, n’en déplaise aux tenants de l’éradication.

    Les islamistes sont des Algériens à part entière. Ils représentent une partie importante du peuple algérien. C’est une réalité sociale et politique indéniable. A-t-on le droit de sacrifier des pans entiers de la société, sous prétexte d’un danger du reste tout à fait hypothétique qui résulterait de l’accession au pouvoir des islamistes, par la voie des urnes qui plus est ?

    Les janviéristes savaient qu’ils n’allaient pas faire dans la dentelle. Ils tablaient sur 60000 morts et cela ne les gênait pas outre mesure. MAAMAR FARAH dit que ses pairs et lui-même savaient que cette intervention n’allait pas être une œuvre de broderie. En effet, plutôt qu’à une œuvre de broderie, nous assisterons à un véritable démembrement du tissu humain et social jusque dans les contrées les plus éloignées de notre pays déchiré. Nous aurons droit à plus de 250000 morts, 25000 disparus, des centaines de milliers de veuves et d’orphelins, 25000 internés dans les camps irradiés du Sud, la torture, les viols, les exécutions sommaires, les assassinats politiques, les maladies mentales, 500000 exilés parmi les meilleurs fils de l’Algérie et j’en passe.

    Même si cette intervention avait abouti à la victoire, elle aurait été une victoire à la Pyrrhus.
    Or, peut-on parler de victoire d’un camp contre un autre camp au sein d’un même peuple ? Les sociétés civilisées règlent leurs différends en s’asseyant autour d’une table et en faisant appel à leurs sages.
    L’actuel président de la république qui n’est pas exempt de reproches a lui-même qualifié l’interruption du processus électoral de première violence. Ceux qu’on appelle les décideurs et qui nous ont menés à la perte en investissant le champ politique avaient la possibilité d’être les arbitres d’un processus démocratique dont ils se devaient de garantir la poursuite jusqu’à son terme, quitte à devoir intervenir par la suite à bon escient et à juste titre cette fois en cas de dérapage ou de dérive des vainqueurs.

    Le malheur est que cette intervention n’aura servi strictement à rien sinon à détruire tout ce qui a été élaboré auparavant, en terme de potentiel humain, d’infrastructures sociales et économiques, de justice, de diplomatie, bref de souveraineté nationale puisqu’on observe que les décideurs ne parlent plus qu’à voix feutrée sur la scène internationale, pourvu qu’ils ne soient pas inquiétés par les grandes capitales. D’ailleurs, ils ne pourront aucunement inquiéter les Suisses qui abritent leur rapine. Du reste, pourraient-ils renoncer à leurs séjours de rêve au bord du lac Léman ?

    C’est cette intervention qui a engendré des parasites à la tête du gouvernement, à l’image d’un Chakib Khelil, auteur du bradage de nos ressources en hydrocarbures et que je considère pour ma part beaucoup plus dangereux et bien plus nocif que n’importe quel islamiste, fût-il armé. C’est cette intervention qui a permis l’émergence de larbins comme Mourad Médelci qui s’en est allé remettre sa copie en tremblotant au Palais Bourbon, devant des députés médusés qui n’en attendaient pas tant de lui. Tous ces responsables à l’image d’un Djamel Ould-Abbas anachronique, ont concouru à la clochardisation de notre immense et beau pays, par leur gestion insensée et folklorique de leurs ministères respectifs, dans l’indifférence étrange, voire la bénédiction de la présidence de la république.

    Monsieur MAAMAR FARAH se rachète malgré tout à la fin de son exposé en appelant à faire éclater la vérité et à rendre la justice sur tous les actes commis durant ces années de ténèbres et d’enfer. Il parle à juste titre du complot ourdi contre Mohamed BOUDIAF – un parricide indigne et une trahison sans nom – qu’un Ali Haroun est allé arracher à son exil politique après des suppliques auxquelles Tayeb El Watani n’a pu rester indifférent et qui garde un silence troublant depuis ce forfait abject. MAAMAR FARAH évoque également les 127 jeunes Kabyles tués gratuitement en 2001. Il a oublié de citer tous ces hommes valeureux qui sont tombés sous des balles « fraternelles » dans le cadre d’une vaste opération visant à nettoyer un terrain jugé hostile par les interventionnistes, car ayant à leurs yeux, une vision plus saine du règlement de la crise, axée autour du dialogue et de la négociation. Kasdi Merbah, approché par des responsables du FIS et dont l’initiative fut encouragée par Liamine Zéroual, est celui qui le 12 juillet 1993 a lancé un appel solennel à toutes les parties, les invitant à se retrouver autour d’une même table pour sauver l’Algérie. D’ailleurs Liamine Zéroual avait invité Kasdi Merbah à approfondir ces contacts. La réconciliation nationale concoctée et voulue par l’actuel président de la république n’a absolument rien à voir avec celle que préconisait Kasdi Merbah à travers son appel historique du 12 juillet 1993. Elle est arrivée très tard – après 12 longues et terribles années – et vise surtout à obtenir une amnistie générale après une véritable hécatombe humaine. Kasdi Merbah, paiera de sa vie cette courageuse initiative. Son fils Hakim universitaire à peine âgé de 23 ans, son frère Abdelaziz médecin, ainsi que leurs deux compagnons subiront le même sort. Cette affaire non encore ou partiellement élucidée se sera illustrée par une enquête bâclée (comme celle de Boudiaf et des autres) et un procès expéditif mettant en scène de pauvres bougres de Bordj-El-Bahri que j’ai personnellement connus comme étant des personnes correctes de la région, et que sa consœur Zineb Oubouchou, alias Salima Tlemçani s’obstine à présenter comme les auteurs de l’assassinat, sous la férule d’un Hattab fantomatique à l’image de Djamel Zitouni, Antar Zouabri et Abderezzak Saïfi et autre Layada qui s’est même permis d’assister à l’enterrement de son ami « El Hadj ».

    Monsieur MAAMAR FARAH oublie d’évoquer l’ignoble assassinat de son confrère Saïd Mekbel qui peu de temps avant s’est confié à une journaliste allemande. Abdelkader Hachani, un sage parmi les sages, a subi le même sort. Matoub Lounès, chantre de la poésie kabyle, toujours vivant dans nos cœurs, n’a pas échappé à ce funeste sort. Il est impossible de citer nommément toutes les victimes mais un jour viendra où nous devrons, comme pour exorciser les démons qui ont habité les décideurs, édifier un Mémorial et graver sur le granit les noms des 250000 Algériens tombés durant cette période sombre et lugubre de notre histoire.
    Tout a été fait pour créer la confusion et empêcher toute lisibilité politique des événements et les médias y ont largement concouru. Il est clair que la violence s’est manifestée de toutes parts et c’est pourquoi la nécessité de jeter la lumière sur cette période est capitale si l’on veut que les consciences soient apaisées. On ne peut pardonner à une personne coupable qui ne fait pas l’effort de demander le pardon. La culpabilité ne peut être assise que sur la base d’un vaste travail d’enquêtes indépendantes et de justice menées par des magistrats instructeurs intègres en Algérie, ici-même dans notre pays. Les décideurs doivent faire l’effort intellectuel et moral de quitter dans les plus brefs délais un pouvoir qu’il ont longtemps squatté et laisser la place à de jeunes compétences jalouses de l’avenir de leur pays, les forces vives dont notre pays regorge, pourvu qu’elles aient les coudées franches . Avant de se présenter devant le Seigneur – ce qui ne saurait tarder par la loi implacable de la biologie – les décideurs gagneraient à assumer cette lourde responsabilité. Le cas échéant, ils ne devront pas s’étonner de subir l’ultime affront d’être jugés par des juridictions étrangères et de précipiter le pays dans le chaos général.

    Abderrezak LAÏBI 13 08 2012

  • La scandaleuse affaire du commissaire Mohamed Senouci



    par Hadj Ahmed Bouchiba, Algeria-Watch

    Dans son discours du 15 avril 2011, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a montré sa volonté de renforcer la démocratie et de combattre la corruption, l’atteinte aux deniers publics, le népotisme et le gaspillage et d’instaurer l’indépendance de la justice, la souveraineté du droit. « Nous pouvons être fiers, dit-il alors, d’appartenir à un pays où la liberté d’expression est une réalité palpable, un pays qui ne compte aucun prisonnier d’opinion ni détenu politique. » Or, l’histoire de mon oncle, Mohamed Senouci, illustre une tout autre vérité…

    Après plus de quatre ans de calvaire, je me dois de faire la lumière sur cette affaire, dont ma famille a refusé pendant longtemps la médiatisation : on a voulu croire en la justice de notre pays.

    Aujourd’hui, j’ai décidé de briser le silence et de faire appel aux personnes auxquelles la justice tient à cœur et à celles qui se révoltent contre le mépris des droits des citoyens et le dénigrement de la justice et de l’État de droit.

    Mohamed Senouci, soixante ans, père de cinq enfants, est un haut fonctionnaire déchu de la police nationale algérienne. Senouci a passé vingt-huit ans de service au sein de la police, dont trois ans en tant que chef de la Sûreté de la wilaya de Tlemcen, années durant lesquelles il a lutté par tous les moyens contre les responsables de la corruption, du népotisme et du trafic transfrontalier. Tombé dans le piège d’un complot qui avait pour but de l’écarter parce qu’il gênait certains d’entre eux, Senouci a été emprisonné (en juin 2007) sans procès pendant quatre ans. Puis il a été arbitrairement condamné, le 3 mai 2011, après un procès entaché d’irrégularités, à dix ans de prison ferme et une amende de 5 000 000 dinars (50 000 euros) pour sa prétendue implication dans une affaire de trafic de stupéfiants, alors qu’aucune preuve matérielle n’existe contre lui. Il était un fonctionnaire intègre, mais son engagement a menacé de gros intérêts et le jugement à son encontre a été rendu par le juge non selon la loi et en son âme et conscience, mais sous la dictée des initiateurs du complot, qui tiennent la justice sous tutelle. Cette affaire nous donne un aperçu de l’arbitraire et de la manipulation de la justice algérienne par les cercles du pouvoir occulte. Je considère comme mon devoir de dénoncer cette injustice et je souhaite de tout cœur que cet écrit trouvera un écho.
    Après une carrière exemplaire, les ennuis commencent à Tlemcen

    Recruté en 1978 en tant que commissaire de police, Senouci est successivement affecté à Blida et à Alger avant de devenir chef de la Sûreté de la wilaya de Béchar, puis de Mostaganem. Au cours des années, il se forge une réputation pour son professionnalisme et son engagement. Il est alors promu au grade de commissaire principal, puis de commissaire divisionnaire. En novembre 1999, il représente l’Algérie à l’Assemblée générale d’Interpol qui se tient à Séoul (Corée du Sud). En 2003, le directeur général de la Sûreté nationale (DGSN) de l’époque, Ali Tounsi, le désigne pour mener une mission spéciale en Autriche et en Belgique après le kidnapping de plusieurs touristes suisses, allemands et autrichiens au Tassili, dans le sud de l’Algérie.

    En 2002, sur ordre du DGSN, Senouci est muté à la tête de la Sûreté de la wilaya de Tlemcen, la région d’origine du président de la République, à la frontière du Maroc. Sa mission principale consiste à établir un plan d’action contre l’immigration clandestine, le trafic transfrontalier de cannabis en provenance du Maroc et la contrebande de carburant.

    Dès son arrivée, Senouci mène plusieurs opérations de grande ampleur, en étroite collaboration avec le wali (préfet) de Tlemcen de l’époque, Bensabbane Zoubir, qui lui accorde tous les moyens nécessaires. Une de ces opérations a lieu à la veille du mois de Ramadan de l’année 2002 (le 5 novembre 2002) : plus de 1 000 policiers sont mobilisés, d’importants lots de marchandise de contrebande sont saisis, plusieurs dépôts clandestins de carburant détruits et des personnes arrêtées. Or, le succès de cette opération ne vaut à Senouci que des ennuis. La « mafia des frontières », avec l’aide de responsables véreux, ne tarde pas à réagir à sa manière. Elle provoque de violentes émeutes le jour même. Senouci et les membres de sa famille font désormais régulièrement l’objet de menaces sévères par le biais de lettres anonymes et de coups de téléphone. Il devient alors évident que la présence de Senouci à Tlemcen dérange plus d’un. Inquiet pour sa famille, Senouci finit par adresser une demande de mutation au DGSN Ali Tounsi ; elle est refusée.

    Le climat se durcit davantage quand le wali, Bensebbane Zoubir, est muté à Annaba en 2003. Il est remplacé par Abdelwahhab Nouri, qui se dit proche du président. Les relations de Senouci avec le nouveau wali s’annoncent difficiles dès le début : il devient vite clair que ce dernier, contrairement à son prédécesseur, n’est pas du tout disposé à le soutenir dans ses efforts. Une de ses premières actions en tant que wali est d’annuler un projet de construction de dix sûretés (offices de police régionaux) dans les daïras (sous-préfecture) de la wilaya, un projet pourtant programmé de longue date et approuvé par la Direction générale de la Sûreté nationale. Pire, le wali commence à mener des campagnes de dénigrement contre plusieurs cadres et notables locaux. Sa première victime est le directeur de la radio locale, d’autres ont suivi. Le wali demande à Senouci d’établir des rapports contre ces personnes, des enquêtes sur commande, en faisant ressortir des faits inexistants. Senouci refuse catégoriquement.

    Sa relation avec le nouveau wali est tendue par la suite et la goutte qui a fait déborder le vase, ce sont deux événements qui se sont déroulés simultanément : 1) l’arrestation de dix-neuf Marocains travaillant au noir (1) pour le compte de l’administration de la wilaya dans des chantiers publics, à savoir l’aéroport et la wilaya – ces Marocains en situation irrégulière étaient hébergés dans la cité universitaire de Tlemcen ; 2) la distribution de tracts à l’échelle locale et nationale dénonçant les agissements du wali. Dans ces tracts, il est fait état de sa moralité, de ses agissements avec ses collaborateurs qu’il méprise, de ses préférences pour les gens et les entreprises de l’Est du pays, notamment de Sétif, dont les responsables sont pris en charge entièrement par la wilaya, ainsi qu’un Égyptien qui décroche tous les marchés d’aménagement.

    Plus récemment, en 2011, ce même wali a également été mis en cause dans une note diplomatique américaine révélée par Wikileaks (2). Le document mis en ligne par le site a été rédigé par l’ambassade des États-Unis à Alger fin 2008, suite à une visite à Tlemcen, et donne une analyse détaillée sur le développement de la wilaya. On y apprend que la wilaya reçoit pour son développement un budget colossal de quelque 10 milliards de dollars et que, malgré cette somme faramineuse, les résultats en termes de création de richesse et d’emploi restent négligeables. De quoi s’interroger sur la destination de tout cet argent…

    Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là. Il faut savoir qu’à Tlemcen, il existe une entité spéciale de lutte contre le trafic des stupéfiants dans la région, la Direction régionale des stupéfiants. À sa tête se trouve le commissaire Mustapha Boumadani, lui aussi arrivé à Tlemcen en 2003. Mohamed Senouci est bientôt alarmé par plusieurs graves irrégularités qu’il découvre au niveau de ce service : corruption, erreurs graves, absence de résultats dont témoignent les statistiques internes… À titre d’exemple, ce service spécialisé, en deux ans, n’a traité qu’un seul cas de 3,5 kgs de cannabis, tandis que les autres services saisissaient du cannabis par quintaux (les gendarmeries et les douanes de Sidi Bel-Abbès, de Temouchent et d’Oran par exemple). Autre exemple : en 2004, la Sûreté de la daïra de Mansourah, qui dépend de Senouci, cède une affaire de quatre quintaux de cannabis à la direction régionale des stupéfiants, dirigée par Boumadani. Il s’avère plus tard que cette affaire n’a jamais été traitée… Dans la même année, un camion plein de produits prohibés, escorté par la brigade des stupéfiants, est arrêté à un barrage de la brigade de gendarmerie de Sabra en présence d’éléments de la brigade mobile de la police judicaire (BMPJ) de cette même localité. Le camion, après avoir passé le barrage, ne sera jamais vu au service des stupéfiants…

    Ces irrégularités découvertes au sein de la Direction régionale des stupéfiants, gérée par Boumadani, ainsi que les agissements du wali Abdelwahhab Nouri, ont fait l’objet de plusieurs rapports que Senouci a adressé au DGSN, Ali Tounsi. Ce dernier a rassuré Senouci et lui a demandé de poursuivre sa mission. Mais curieusement, aucune mesure contre le commissaire Boumadani n’a jamais été prise… Quant au wali Nouri, Tounsi a affirmé posséder un gros dossier à charge contre lui et que Nouri serait bientôt relevé de ses fonctions par le président de la République. Mais il en ira autrement.
    Quatre ans de prison sans procès, une condamnation inique

    Le 26 novembre 2005, Senouci est convoqué par Tounsi, pour lui apprendre que c’est lui, Senouci, qui est relevé de ses fonctions de chef de la Sûreté, sur demande du président de la République, avec effet immédiat ! Aucune explication ne lui est donnée, aucun document écrit ne lui est remis. Il faut savoir qu’un chef de Sûreté de wilaya est nommé par décret du président, et que seul le président est habilité à l’abroger. Or, Abdelaziz Bouteflika se trouvait alors à l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris – il y avait été transféré en urgence la veille, le 25 novembre. Ce que Senouci ne sait pas encore à ce moment-là, c’est que deux jours avant, soit le 24 novembre 2005, le wali de Tlemcen s’était rendu dans le bureau de Tounsi et lui avait remis un rapport dans lequel Senouci était dénigré…

    Si ce dernier accepte son licenciement, c’est parce que Tounsi lui promet un autre poste, loin de Tlemcen, une fois que le président sera rentré. Senouci quitte alors Tlemcen en décembre 2005 pour s’installer à Rélizane, sa ville natale, dans l’attente du nouveau poste qui lui a été promis. Mais le temps passe et aucune proposition ne lui est faite. Bien au contraire, en octobre 2006, soit une année après sa convocation au bureau de Tounsi, M. Senouci reçoit la notification du décret présidentiel mettant officiellement fin à ses fonctions en tant que chef de la Sûreté.

    Mais le licenciement de Senouci ne suffit pas à ses adversaires, qui cherchent à le mettre à l’écart d’une manière plus drastique encore. Le 25 décembre 2005, le juge d’instruction de Remchi (wilaya de Tlemcen), M. Deham, convoque M. Senouci en tant que témoin dans une affaire de stupéfiants datant de novembre 2005, peu de temps avant qu’il ait été relevé de ses fonctions. Senouci raconte ce qu’il sait : le 19 novembre 2005, le standard de la Sûreté de la daïra de Maghnia a reçu un appel téléphonique anonyme faisant état de la présence d’une voiture contenant du cannabis devant le domicile d’un certain Boubakr Boubkeur. Ce dernier est un trafiquant de drogue notoire, connu de la police de Maghnia. Des policiers se rendent sur les lieux et découvrent la voiture décrite et à l’intérieur de celle-ci 275 kg de cannabis, ainsi qu’un acte de naissance avec la photocopie de la carte d’identité de M. Boubkeur…

    Après cet entretien, Senouci rentre chez lui. Ce jour-là, il ignore encore que le juge d’instruction, M. Deham, suite à leur rencontre, va charger le commissaire Boumadani de l’enquête relative à cette affaire, notamment de la commission rogatoire ! Cela ne semble pas être un hasard, car le juge d’instruction et le commissaire entretiennent depuis toujours des relations privilégiées – Boumadani en personne assurait l’escorte du juge lors de ses visites, même lorsque celles-ci étaient privées.

    Ce n’est que le 19 juin 2007 que l’étau se resserre sur Senouci. Il est de nouveau convoqué ce jour-là à Remchi par le juge d’instruction Deham. Cette fois, aucun motif n’est précisé pour la convocation. Lorsque Senouci se présente au bureau du magistrat, il est pris au piège : avant même d’être entendu par le juge d’instruction, le procureur Saadallah, présent dans son bureau, ferme la porte à clef et l’informe qu’il est placé sous mandat de dépôt ! Quand le juge veut l’auditionner, M. Senouci refuse, au motif qu’il n’a pas été convoqué en qualité d’inculpé. M. Senouci réclame l’assistance d’un avocat, ce qu’on lui refuse. Il est incarcéré le jour même dans la prison de Remchi, l’établissement dans lequel sont détenues des personnes parfois lourdement condamnées et qu’il a lui-même déférées à la justice. Alors que Senouci, en tant qu’ancien haut fonctionnaire de la Sûreté nationale, aurait dû – selon les articles 576 et 577 du code de procédure pénale – bénéficier du « privilège de juridiction », qui stipule que la juridiction compétente doit se situer hors de la circonscription où lui-même était territorialement compétent…

    Commence alors un inimaginable calvaire pour lui et sa famille : Senouci va passer quatre ans en prison (de juin 2007 à avril 2011) dans l’attente de son procès. Durant ces quatre ans, il est atteint de l’hépatite C, du fait de conditions de détention déplorables, propices à la propagation des maladies. Son avocat, Me Miloud Brahimi, fait plusieurs tentatives afin d’obtenir une libération conditionnelle pour cause de maladie et fautes de procédure – en vain. Me Brahimi se pourvoit en cassation devant la Cour suprême. Celle-ci finit par annuler l’arrêt de renvoi du dossier de la chambre d’accusation de Tlemcen devant le tribunal criminel de la même juridiction (3). Elle renvoie le dossier devant la chambre d’accusation de Sidi Bel-Abbès, pour respecter la compétence territoriale.

    Le procès s’ouvre finalement le 25 avril 2011, devant la cour de Sidi Bel-Abbès. Une vingtaine de personnes sont accusées et plus de soixante témoins sont entendus dans la même affaire. Le procès dure neuf jours et suscite un intérêt médiatique important (4). Senouci est accusé de « complicité de trafic de drogue par organisation criminelle », selon l’arrêt de renvoi. Pourtant, aucune preuve matérielle n’existe contre lui.

    Le procès révèle de nouveaux éléments fracassants. Deux officiers de la police de Maghnia, Djezzar et Menzla, également accusés dans l’affaire, déclarent que le juge d’instruction de Remchi, Deham, leur a demandé lors d’une visite en prison de témoigner contre Senouci en échange de leur libération. Un autre officier déclare avoir même été torturé, par le commissaire Boumadani lui-même, pour témoigner contre Senouci. Malgré ces révélations choquantes, le président du tribunal refuse de convoquer Boumadani et le juge d’instruction Deham comme témoins, malgré l’insistance de la défense.

    Les peines sont prononcées le 3 mai 2011. Senouci écope d’une peine de dix ans de prison ferme, assortie d’une amende de 5 000 000 dinars (50 000 euros). Il a été jugé coupable sur la base d’un numéro de téléphone trouvé dans son portable. Le numéro appartient à un trafiquant, dont Senouci se servait comme indicateur. Quant à Boubkeur, l’inculpé initial, un criminel connu de la police pour être un trafiquant de drogue notoire et devant chez qui on a retrouvé du kif par quintaux, il est acquitté ! Parler de peines disproportionnées est le moins que l’on puisse dire…

    Suite à ce procès, le procureur Saadallah a été promu procureur général à la cour d’Oran. Le juge d’instruction, Deham, a été promu président de la chambre criminelle à la cour de Tlemcen. Quant au wali, notons qu’il est le seul qui n’a pas été touché par les mouvements de mutation des walis depuis plus de huit ans, bien que les règles administratives exigent qu’un wali ne puisse dépasser la durée de quatre ans dans une wilaya….

    Pour ce qui est de Senouci, ce jugement a signifié sa mise à mort civile et juridique. Il est aujourd’hui un homme brisé. En octobre 2011, il a été transféré à la prison de Chlef, sur l’ordre du ministre de la Justice lui-même, Belaïz Tayeb, président de la commission nationale du droit international humanitaire.

    Notes

    1. Voir sur ce sujet : Sabrina Benmehdi, « Clandestins, travailleurs au noir : ces Marocains qui font le bonheur des notables de Tlemcen », Dernières nouvelles d’Algérie, 16 juillet 2010.

    2. Chahredine Berriah, « Tlemcen espionnée par des Américains en 2008 », El Watan, 7 septembre 2011.

    3. Voir « Affaire des deux quintaux de kif saisis à Maghnia. L’ex-divisionnaire de Tlemcen crie au complot », El Watan, 4 décembre 2007.

    4. Voir notamment : « Procès de l’affaire du kif saisi à Tlemcen. L’ex-chef de sûreté de Maghnia à la barre », El Watan, 27 avril 2011 ; Houari Saaïdia, « Procès des neuf officiers de police : la perpétuité requise contre sept accusés », Le Quotidien d’Oran, 2 mai 2011.