Entre ces murs sont morts Ali Lapointe, Hassiba Ben Bouali, Mohamed Bouhamidi et Petit Omar. Leur maison de La Casbah, dynamitée par l’armée française, est devenue un «musée» qui se meurt d’ennui.
La scène est immortalisée dans La Bataille d’Alger, de Gillo Pontecorvo. Des officiers parachutistes investissent une maison. Un homme s’approche et désigne d’un hochement de tête un rectangle en faïence murale qui occupe une partie du mur. Contrechamp sur les visages de quatre personnes qui interprètent les rôles de Hassiba Ben Bouali, Petit Omar, Mohamed Bouhamidi et Ali Ammar dit Ali Lapointe, terrés dans la pénombre de leur cachette. La caméra du réalisateur s’attarde sur chacun des visages pour mieux capter les émotions qui s’y dégagent. «Rends-toi, Ali, c’est fini !», hurle un des parachutistes.
Silence de l’autre côté du mur. En ce 8 octobre 1954, la maison du 5, rue des Abdérames à La Casbah sera dynamitée au petit matin. Les corps des quatre moudjahidine ne seront jamais retrouvés. Inaugurée en 1986, sur le lieu même où s’est fait le dynamitage de la bâtisse par l’armée française, la maison reconstruite à l’identique, selon l’architecture initiale, est boudée par la grande majorité des habitants du quartier et par les Algériens. Seuls quelques irréductibles, faisant partie de la «famille révolutionnaire», continuent de venir visiter le lieu vide de toute mémoire. Juillet 2012.
Quatre drapeaux. Cinq pots de fleurs disposés dans le patio, quelques photos accrochées au mur (sans aucune indication sur les personnes y figurant) et une plaque commémorative à l’entrée de la bâtisse : c’est à cela que se résume l’hommage de l’Algérie aux quatre héros de La Casbah. Mohamed, la quarantaine, en est depuis une dizaine d’années le gardien du lieu. Il en est aussi le guide, par la force des choses. Assis sur une chaise, il avoue que bien souvent les journées lui paraissent longues et ennuyeuses. Pourtant, ce matin, Réda, un jeune immigré de Toulouse, tient à visiter le lieu et à faire quelques photos. Il aimerait en savoir plus sur les événements qui se sont déroulés sur place et voudrait connaître la nature des explosifs et la charge utilisée par l’armée française pour dynamiter le lieu. Mohamed ne sait pas quoi lui répondre.
«Je suis qu’un simple gardien, se lamente Mohamed. J’ai à plusieurs reprises demandé à l’APC de nommer un guide qui puisse donner les explications et les informations précises que les visiteurs réclament. Mais rien n’est fait.» Alors, Mohamed se débrouille comme il le peut, avec le peu d’informations glanées en écoutant les quelques moudjahidine qui viennent encore visiter les lieux et raconter leurs souvenirs de guerre.
Un drapeau et une fleur
Il a appris par cœur les noms des héros qui figurent sur les photos et mémorisé quelques dates importantes de la Bataille d’Alger qu’il débite à chaque visiteur. Quant aux habitants de La Casbah, il reconnaît à demi-mot que l’endroit est «très peu visité». «C’est normal, car il n’y a rien ici qui puisse les intéresser !, s’exclame-t-il. Il faudrait que l’endroit soit géré par le ministère de la Culture pour qu’il devienne un véritable lieu d’histoire. Actuellement, c’est l’APC de Bab El Oued qui s’en occupe, sans lui accorder un grand intérêt. La maison fait office de point de visite pour les délégations étrangères.» Assis sur le perron, Azziz habite juste en face de la bâtisse. Il est en compagnie de sa petite fille et sirote son café. Il reconnaît que depuis vingt ans qu’il vit à La Casbah, il n’a jamais franchi le seuil de la porte de cette maison habitée par la Révolution.
«Ce pays ne respecte pas les héros, affirme-t-il. Il préfère fêter les vendus et les harkis qui se sont appropriés la Révolution. Comment se fait-il que dans cette maison, qui symbolise la bataille d’Alger, il n’y a rien du tout à part quelques photos ? Peut-être que parce que les conditions qui ont amené les quatre révolutionnaires à se faire encercler et pulvériser par les paras français ont eu lieu suite à la trahison. C’est pour cela qu’on ne veut pas en faire un véritable endroit d’histoire. El houkouma ne veut pas faire la lumière sur les zones sombres de la Révolution. Après, on nous dit que les Algériens ne s’intéressent pas à leur l’histoire, c’est faux ! On veut la connaître, insiste-t-il. Mais on veut connaître la vraie.»