TSA a consulté le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les émeutes de janvier 2011
Il élude les aspects politiques, illustre l'incompétence des ministres et révèle l'incapacité de l'Etat face aux grossistes
Katia Mehdi
Le rapport de la Commission d'enquête sur « la pénurie et la hausse des prix de certains produits alimentaires de large consommation sur le marché national » reste entouré de la plus grande confidentialité. Le président de l’Assemblée populaire nationale (APN), Abdelaziz Ziari, a donné de fermes instructions aux parlementaires afin de ne pas divulguer son contenu à la presse, allant jusqu’à menacer ceux qui ne respecteraient pas cette règle de sévères sanctions. TSA a consulté une copie du rapport.
Le document se compose de 120 pages. Il est structuré en quatre chapitres : « Audiences et visites sur terrain », « Analyses des données » (notamment à travers les articles de presse), « Axes de l’enquête », et le dernier chapitre, le plus important, qui contient les « Conclusions et les recommandations de la Commission d’enquête ».
Deux principaux enseignements se dégagent du rapport : une impuissance de l’État face aux grossistes – ceux‑ci ont refusé de répondre à la convocation de la commission d’enquête – et une incompréhension totale des mécanismes de fonctionnement du marché et de la distribution. Le rapport révèle également l’ampleur des contradictions entre les différents ministres et responsables auditionnés. Mais surtout, il occulte la dimension politique et le contexte social et régional – le printemps arabe – des émeutes qui ont secoué le pays au début de l’année 2011.
Les principales conclusions du rapport
Le rapport explique la hausse des prix des produits de première nécessité par la décision des opérateurs, particulièrement de Cevital – leader du marché – d’instaurer de nouvelles règles avec les grossistes. « Le recours de l’opérateur Cevital à des mesures décidées unilatéralement et sans concertation, faisant notamment obligation aux grossistes de prouver le dépôt légal des comptes sociaux et exigeant la présence du détenteur du registre du commerce ainsi que l’obligation de paiement par chèque, a instauré un climat de méfiance chez les grossistes , lesquels se sont abstenus de s’approvisionner en produits alimentaires comme le sucre et l’huile », note le rapport. Cela a créé une pénurie au niveau du marché. Une situation exploitée par les grossistes qui ont augmenté fortement les prix. Ces derniers ont procédé aussi à l’épuisement des stocks en prévision de l’entrée en vigueur en avril 2011 de l’obligation de paiement par chèque pour toute transaction dépassant les 500 000 DA.
Une analyse des évènements contestée par Issâd Rebrab, patron de Cevital, cité dans le rapport. Il a déclaré aux enquêteurs : « les seuls documents exigés aux grossistes pour leur vendre les produits alimentaires sont la carte fiscale et le registre du commerce », comme l’exige actuellement la loi. Durant la période des émeutes, les stocks chez les producteurs étaient considérables (3 mois chez Cevital). En revanche, ils étaient réduits chez les détaillants à cause de la rupture de la chaîne d’approvisionnement. Les détaillants ont alors augmenté leurs prix.
La Commission parlementaire évoque d’autres phénomènes qui ont interféré sur le marché national des produits alimentaires et provoqué des perturbations. La spéculation vient en tête avec le fait que les commerçants pratiquent des prix relativement élevés sur les produits stockés avant la crise. Le document passe également au crible le fonctionnement de l’Office national du lait et de l’Office national des céréales. « Mauvaise gestion, manque de transparence dans la gestion de l’argent public et la non‑maîtrise des opérations d’achat des produit alimentaires de première nécessité sur le marché international », sont autant de griefs retenus contre les deux organismes. L’Onil est cité comme la source principale de la pénurie de lait. Les autres raisons signalées dans le rapport concernent la mauvaise organisation du marché et l’inefficacité des mécanismes de contrôle ainsi que la suppression du principe des quotas.
De nombreuses contradictions entre les différents responsables
Le rapport révèle de nombreuses contradictions dans les propos des responsables directement concernés par la gestion des prix. Exemple : selon Mustapha Benbada, ministre du Commerce, cité dans le rapport, c’est la décision du gouvernement d’instaurer le chèque qui a provoqué cette crise. « Les grossistes ont acheté les produits en question en grande quantité avant l’entrée en vigueur de cette mesure. Cela a perturbé le marché », a‑t‑il dit aux enquêteurs. Mais si les grossistes ont acheté les produits en grande quantité, d’où vient alors la pénurie ?
Les propos de Benbada sont également contredits par Mohamed Leksaci, gouverneur de la Banque d’Algérie, et Karim Djoudi, ministre des Finances. Pour M. Leksaci, « il n’y a aucun lien entre l’augmentation des prix des produits alimentaires et la pénurie constatée sur le marché national avec le recours au paiement par chèque ». Laksaci met en cause « un marché interne déstructuré et les limites de la politique de subvention, en l’absence de contrôle »
Même constat chez Karim Djoudi : l’obligation de paiement par chèque prévu par le gouvernement n’a pas contribué d’une manière ou d’une autre à la pénurie des produits alimentaires de base, selon lui. « Ce n’est pas la première fois qu’on impose cette règle », argumente‑t‑il devant les enquêteurs
Karim Djoudi rappelle en revanche que la hausse des prix du pétrole a eu des retombées directes sur les frais de production et de transport. Mais sur ce point, le premier argentier du pays est contredit par un autre membre du gouvernement. Selon Amar Tou, ministre des Transports, « durant le dernier trimestre 2010 et le premier trimestre 2011, les dépenses des ports , ayant trait aux deux produits « sucre et à l’huile n’ont connu aucun changement ». « J’ai personnellement consulté les factures de transport et de livraison, je n’ai constaté aucune augmentation », a‑t‑il ajouté, selon le rapport. Comprendre : la hausse des tarifs des transports n’a eu aucun impact sur les prix du sucre et de l’huile, contrairement aux affirmations du ministre des Finances.