Tous les spécialistes le disent : le film « Des hommes et des dieux » qui raconte le destin tragique des sept moines de Tibhrine, est bien parti pour remporter la Palme d'or du Festival. A la fin de la projection réservée à la presse, dans la grande salle du palais des Festivals, « Des hommes et des dieux » a été applaudi durant trois minutes hier matin par des journalistes du monde entier. Scotchés et bouleversés par ce qu’ils venaient de voir pendant deux heures. La nouvelle d’une possible Palme d’or s’est ensuite répandue toute la journée sur la Croisette, jusqu’à accompagner l’équipe du film en début de soirée lors de la montée des marches.
« Des hommes et des dieux » raconte le destin tragique de sept moines, enlevés fin mars 1996, dans leur monastère de Tibhrine, près de Medea, à 90 km au sud d’Alger. Dans cette région où les tueries étaient fréquentes à l’époque, le GIA de Djamel Zitouni avait alors revendiqué leur enlèvement et leur assassinat. Les têtes des moines avaient été retrouvées le 30 mai, au bord d’une route de montagne. Un sujet terrible, pour un film tourné au Maroc plutôt qu’en Algérie pour des raisons de sécurité, dans lequel chacun s’est jeté à corps perdu, Xavier Beauvois le premier. Avant d’entamer les prises de vues, il est allé faire une retraite monastique.
Xavier Beauvois aurait donc magnifiquement réussi son film, Des hommes et des dieux . Il n'a pas raté un sujet qui paraissait bien difficile et bien austère : les derniers mois des sept moines du monastère de Tibéhirine, avant leur enlèvement par des terroristes algériens, en 1996.
Tout y est. Le portrait sensible, touchant, fidèle, d'une communauté, de ses rituels et de ses liens avec le village arabe voisin ; les tensions qui les agitent individuellement après les premières menaces ; le cheminement de leur questionnement, que le réalisateur traduit habilement par les psaumes chantés qui jalonnent le récit ; leur refus de l'engagement (entre l'armée algérienne et les terroristes) qui vaut comme engagement suprême et mise à l'épreuve de leur foi : vont-ils flancher, s'enfuir, ne pas être à la hauteur de l'épreuve que Dieu leur envoie ?
« Cela m’a appris beaucoup de choses sur la façon dont ces hommes vivaient leur foi, dit le réalisateur. Les sept offices religieux par jour, dont le premier à 4 heures du matin. Il dure une heure et demie. Je me demande comment ces moines font pour tenir. D’autant plus qu’ils ont énormément d’activité. Je suis tombé amoureux d’eux. » Concernant ceux de Tibhrine, il dit : « Ces hommes étaient des aventuriers, des artistes de l’amour, des gens qui vont jusqu’au bout de leur pensée, avec foi. C’est très rare aujourd’hui, de faire don de soi, de s’intéresser aux autres. Si seulement 5 % des gens étaient comme eux, la société serait meilleure. »
Lambert Wilson, qui incarne l’un des frères, a été aussi très marqué par ce qu’il a vécu lors du tournage. « J’ai oublié que j’étais acteur. J’étais totalement dans le personnage. Et surtout, très proche de mes partenaires. Au point qu’on est devenus de vrais amis. Il le fallait pour les besoins de ce film. » Quant à Michael Lonsdale, dans le rôle du frère médecin, il avoue : « Cet homme avait 85 ans (NDLR : l’âge de l’acteur) et il soignait parfois jusqu’à 150 personnes par jour. Je l’admire de s’être consacré, cinquante ans de sa vie, aux autres. Ça s’appelle la charité. »
Aujourd’hui, les circonstances exactes de la terrible fin des moines de Tibhrine restent mystérieuses. L’hypothèse d’une bavure de l’armée algérienne, est évoquée dans le film lorsqu’un hélicoptère de l’armée survole longuement le monastère. « Des hommes et des dieux », film sensible à bien des égards.
L.M. (Source : Le Point - Le Figaro)