Mehdi Bsikri
El Watan 04/11/2012
Exploitation des gaz de schiste, enjeux et perspectives, tel est le thème d’une conférence-débat organisée, hier à Alger, par le Collectif national pour les libertés citoyennes (CNLC). Les volets relatifs à ce dossier politique, économique et écologique ont été soulevés et traités par les participants.
Invité à intervenir à la conférence-débat, Kacem Moussa, docteur en géologie, maître de conférences à l’université d’Oran et également détenteur d’une expertise en environnement, a d’emblée affirmé que «l’exploitation des gaz de schiste est dangereuse». L’hôte du CNLC contredit les déclarations des officiels, dont le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui avait affirmé que «l’Algérie maîtrise la technologie de l’exploitation des gaz de schiste». «Faux», estime le conférencier. Pour lui, «seule une poignée de multinationales maîtrisent cette technologie de pointe, la plupart sont américaines». Selon Kacem Moussa, «les responsables disent pouvoir traiter les eaux usées qui seront éjectées».
Là aussi, il répond par la négative en indiquant que «la technique de fracturation hydraulique nécessite d’énormes quantités d’eau mélangée à une dizaine de produits chimiques et qu’il est difficile de recycler». Il explique que «cette technique est très risquée pour les nappes phréatiques». «L’Algérie possède une nappe albienne qui s’étend d’est en ouest et ces énormes quantités d’eau douce peuvent être contaminées à cause de fissurations des forages, l’un vertical et l’autre horizontal», prévient-il. Et de poursuivre : «L’Algérie ne contrôle ni les procédés de traitement des eaux usées ni les procédés des techniques de dépollution, une fois la nappe phréatique polluée.»
Kacem Moussa dit que «des alternatives existent pour satisfaire l’argumentaire économique». «Au lieu de laisser les entreprises étrangères investir dans l’exploitation des gaz de schiste, il est préférable d’utiliser les quantités d’eau (un seul puits pour la fracturation nécessite 20 000 m3) pour la production agricole. Le pays pourrait faire travailler des milliers de jeunes et diminuer sa dépendance vis-à-vis des pays d’où elle importe les denrées alimentaires, entre autres le blé.» En outre, il rappelle que le tiers du domaine minier algérien n’a pas été prospecté, zone dans laquelle les gaz peuvent être extraits de manière conventionnelle.
Sur le plan politique, Kacem Moussa souligne que «cette histoire de gaz de schiste dépasse le cadre national et révèle des enjeux géostratégiques disputés entre les Etats-Unis et la Chine dans la région nord-africaine». «D’après mes contacts, la dernière visite d’Hillary Clinton à Alger avait pour but de demander l’exclusivité de l’exploitation des gaz de schiste au profit des entreprises américaines», confie Kacem Moussa. Il ajoute qu’«outre l’extraction de cette énergie, l’Administration américaine s’intéresse particulièrement aux terres rares, comme le candium, le lanthane, le cérium, le praséodyme, le néodyme, le prométhium ou le samarium, enfouies en grandes quantités du Sud algérien jusqu’au Nord-Mali».
De son côté, Farès Kader Affar, porte-parole du CNLC, pense que «l’exploitation des gaz de schiste est une décision prise dans l’opacité. Ceci démontre encore une fois les pratiques antidémocratiques du régime algérien depuis 1962». «Pourquoi le gouvernement ne soumet pas ce sujet à l’opinion publique et ne présente-t-il pas des explications ?», s’interroge-t-il. Et d’ajouter : «Lorsque le Premier ministre indique que ‘les gaz de schiste seront exploités, il n’y a pas d’issue’, à quoi sert donc l’APN si elle n’est pas consultée ?»
Yacine Teguia, chargé des dossiers politiques au MDS, a pour sa part estimé qu’«hormis le manque de transparence dans la gestion des affaires de l’Etat, des questions de fond demeurent à poser». «Les tractations entre le gouvernement algérien et les pays occidentaux ne doivent en aucun cas compromettre l’avenir de toute une nation», pense-t-il.
Mehdi Bsikri