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itediction

  • Manifester, oui ! militer, non !

     

    Par : Mustapha Hammouche

    En Algérie, il est moins grave de manifester que de soutenir une manifestation. Par deux fois, le militant des droits de l’Homme et membre du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC), Abdelkader Kherba, a fait les frais de cette règle. Une première fois, en mai dernier, quand il est allé soutenir un rassemblement de greffiers devant le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger (ce qui lui a valu une arrestation suivie d’une condamnation à une peine d’un an de prison avec sursis et une amende de 20 000 DA) ; une seconde fois, hier, à Ksar El-Boukhari, alors qu’il filmait une manifestation de citoyens contre les coupures d’eau.
    Manifester pour dénoncer les coupures d’électricité et les coupures d’eau, c’est tolérable ; se rassembler pour exiger des augmentations de salaire l’est aussi. Cela peut aboutir à des réactions positives de la part des autorités. La preuve en est que, depuis quelques jours, il pleut des projets de centrales électriques : Cap Djinet, Béchar, Ghardaïa, Tamanrasset, Illizi. Et ce n’est certainement pas fini. Tant que cela ne coûte que de l’argent, la réponse est à la hauteur de la revendication : importer des céréales, stocker des pommes de terre et subventionner les prix d’autres matières, l’État sait le faire, du moins tant que le prix du baril ne s’éloigne pas trop du prix — étrangement précis — de cent douze dollars.
    La société a le droit d’exprimer toutes ses colères et toutes ses dérives, pourvu que celles-ci ne se fondent pas sur des aspirations de nature politique. Elle peut même régenter de larges territoires arrachés à l’empire de la loi. Des “tribus de quartiers” peuvent alors occuper l’espace public de leur quartier et y faire commerce, y interdire les activités “illicites”, comme la vente d’alcool, y encourager les activités “licites”, comme la taxation privée du stationnement ou la “roqia”, y imposer leur code moral et vestimentaire, et même s’y faire justice. Ces débordements “communautaires”,  mais qui ont fini par se propager partout dans le pays ont, pour le pouvoir, l’avantage — politique — d’être de dimension locale. S’ils menacent l’ordre public, ils ne menacent pas l’ordre politique.
    Ce n’est pas le cas de l’activisme citoyen ou des droits de l’Homme. Celui-ci, voué à la défense de principes, est perçu comme politiquement subversif. Parmi des centaines de manifestants, devant le tribunal d’Alger ou devant le siège de l’entreprise des eaux à Ksar El-Boukhari, les policiers sont instruits d’en arrêter un seul… et il se trouve qu’il s’agit d’un militant syndical et des droits de l’Homme ! Il y a donc manifestant et manifestant, ordre public et ordre public.
    Pendant qu’elle accentue la répression de la revendication pour les droits syndicaux, pour les libertés publiques et pour les droits de l’Homme, cette attitude du pouvoir qui consiste à “comprendre” le casseur, voire le délinquant, et à traquer le militant, encourage les manifestations de doléances et d’humeurs les plus insolites, tout en décourageant les revendications structurées autour des principes de droits et de libertés.
    Le pouvoir préfère gérer une expression populaire anarchique et catégorielle, coûteuse en moyens de répression, mais ne peut souffrir l’expression organisée de revendications de principes, de principes qui le remettraient en cause. Il tolère cette agitation sociale débridée pour mieux dépolitiser la vie publique.