M. Mohammed El Korso, ancien président de la Fondation 8 Mai 45 et devenu "spécialiste des relations algéro-françaises" affirme dans El-Khabar que le président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika sera jugé par l’Histoire, dans le cas où les autorités refuseraient le projet de loi criminalisant le colonialisme. Il pense que l’Histoire témoignera, par ailleurs, en faveur du président Bouteflika si le colonialisme a été criminalisé pour la première fois dans son ère, dans le cas où le parlement réagira positivement à l’initiative des parlementaires.
C'est un tournant. Même si M. Mohamed El Korso tempère : « je refuse de croire que le gouvernement refuse cette loi et que le président de la République soit responsable de son blocage étant donné qu’il est impossible pour ceux qui ont combattu le colonialisme et qui furent les premiers acteurs du recouvrement de la souveraineté nationale régiraient de cette manière. Si ces personnes tournent le dos au principe de criminalisation du colonialisme, ils feront également de même pour ce qui est des questions de la révolution et de leur lutte contre le colonialisme ».
M. Mohammed El Korso veut encore prêter au président Bouteflika quelque scrupule politique quand il s'agit de défendre la mémoire. Par tactique, il refuse de regarder la réalité en face : la proposition de loi incriminant le colonialisme français n'était qu'un bluff politique, le pouvoir n'a jamais eu de réelle volonté politique de promulguer pareille loi et il y a bien longtemps de la mémoire ne relève plus, pour Bouteflika, du différend historique mais du cabotinage conjugal, cette pratique un peu malsaine qui consiste à rappeler au conjoint un antécédent fâcheux chaque fois qu’on éprouve le besoin de lui extorquer une nouvelle déclaration d’amour.
La méthode est classique : Bouteflika fait provoquer, en sous-main, un début d’incendie par des pyromanes qualifiés et se donne ensuite le loisir d’intervenir en pompier, prestation qu’il monnayera alors au plus haut prix.
Selon les réponses qu’il reçoit de la France, le président algérien peut ainsi passer de la plus grande « indignation » envers le préjudice colonial à la plus béate des indulgences.
M. Mohammed El Korso le sait bien. Il suffit de se rappeler qu’avant de brandir le spectre d’une « loi algérienne criminalisant la colonisation" – signée, soulignons-le, par 125 députés appartenant à la majorité présidentielle - Bouteflika avait publiquement renoncé, et deux fois plutôt qu’une, à exiger de la France repentance de ses péchés coloniaux. La plus récente fut même énoncée, comble de l’ironie ou du cynisme, de la bouche du président de l’assemblée populaire nationale, celle-là même dont on redoute qu’elle adopte une loi criminalisant la colonisation ! C’était en mai 2009, à la veille de la visite d'Etat que devait effectuer en juin à Paris le président algérien et à laquelle ce dernier tenait beaucoup. Abdelaziz Ziari, un fidèle de Bouteflika, avait alors affirmé au cours d’un point de presse dans la capitale française, que la question de la repentance « n’était pas à l’ordre du jour » et « n’a jamais, depuis l’indépendance, constitué un obstacle aux relations algéro-françaises ».
Bouteflika voulait ainsi « proposer un cadeau » aux Français pour les amadouer.
Or, pour revenir à cette "loi" criminalisant le colonialisme, rien ne se serait produit s’il n’y avait eu, au printemps dernier, cette décision française que Bouteflika considère comme un camouflet : le report, voire l’annulation de cette visite d'Etat qu’il devait effectuer en juin à Paris et que l’Elysée a jugé embarrassante car trop « proche » du scrutin bokassien du 9 avril à l’issue duquel le chef de l’Etat algérien avait été réélu avec plus de 90 % des suffrages, réélection alors qualifiée en France de « pharaonique ». L’Elysée (si on en croit le Parisien), redoutant que cette encombrante victoire ne soit évoquée par l’opposition et par les médias, avait décidé de la repousser à la fin de l’année, ce qui a fortement froissé Bouteflika, furieux d’être assimilé à un vulgaire dictateur infréquentable.
Voilà cinq ans que M. Mohammed El Korso se pose la même question : Bouteflika joue-t-il avec la mémoire? Il a même laissé à son successeur la même perpléxité. Le nouveau président de la Fondation 8 Mai 45, M. Kheireddine Boukherissa, dénonçant les propos du président de l’Assemblée populaire nationale (APN), Abdelaziz Ziari,à Paris, selon lesquels la repentance “n’est pas à l’ordre du jour”, s'était demandé : " M. Ziari était-il délégué par le président de la République pour tenir ce discours? Si oui, nous sommes en mesure de demander des explications au président de la République..." Mais, plus loin, ayant réfléchi : " M.Ziari persiste à dire qu’il a parlé en France au nom de l’Algérie officielle. Sur ce point, j’ai beaucoup de doutes. Je comprend bien que le président de l’APN ait reçu des orientations de la part de M.Abdelaziz Bouteflika avant son déplacement. Je ne pense pas qu’il lui ait demandé de reléguer la question de la repentance au dernier rang. Nous suivons les discours des uns et des autres. Nous ne pensons pas que le président de la République ait changé de position."
L'avantage de la mémoire courte, c'est qu'il vous assure une belle carrière politique!
Mais, Mohammed El Korso, en affirmant que " Bouteflika sera jugé par l'Histoire", veut dire : "La comedia e finita"
L.M.