C'était hier ou avant-hier. Dès l’indépendance acquise au prix du sang versé, les opposants sont pourchassés, torturés et même assassinés, tous les déviants sont forcés par la Ligne de rentrer dans le rang, l’échine courbée. Puis d’autres, puis des torrents d’injustices, puis des échafauds publics et des cours de sûreté sont montés pour envoyer berbéristes, communistes et tous les istes dans d’infâmes cachots. Puis il y a quelques années ou quelques heures, sous le règne du noble Zeroual, des journalistes et des cadres innocents sont jetés en prison par la Ligne pendant que des suspects disparaissaient à jamais dans d’introuvables cimetières.
M. Sellal, qui n’est plus du tout jeune, a connu toutes ces dérives et n’a jamais rien dénoncé, se contentant de gravir l’escalier de service et passer de poste à poste pour arriver au Premier ministère et, pourquoi pas, sur le fauteuil présidentiel. C’était il y a deux jours, une éternité, le Premier ministre expliquait à une foule absente qu’«il n’y a pas d’ennemi intérieur». Il fallait peut-être le dire au DRS, à ses supérieurs, à la police ou à la gendarmerie. Car le régime s’est peut-être adouci, le bras ramolli par l’arthrose ou paralysé par l’AVC, mais continue de harceler des militants, de monter des procédures judiciaires contre les opposants et de tabasser des manifestants pendant que les libertés d’association et de réunion sont réduites et que des activités économiques sont interdites aux Algériens et confiées à des étrangers.
Ce qui montre bien que la conception d’un ennemi intérieur est toujours vivace. Mais peut-être que Sellal voulait dire qu’après 14 ans de Bouteflika et frères, d’écrasement au nom de l’ordre et de piétinements au nom de la Ligne, il n’y a plus d’ennemis intérieurs, car ceux-ci sont morts, en prison, cassés ou en exil. M. Sellal, qui aura à peu près tout raté en un an, y compris sa nouvelle coupe de cheveux, n’aura pas relancé l’économie, rajeuni la classe des gestionnaires, éliminé la bureaucratie ou même lancé la 3G. Il aura contribué à réussir une seule chose, éradiquer les marchés informels de l’intelligence. C’était demain.