Après les brutalités de Tizi Ouzou
La vidéo choc qui continue à faire le buzz sur les réseaux sociaux et met clairement et crûment à nu la sauvagerie avec laquelle la police a réprimé des manifestants lors de la marche avortée du 20 avril, à Tizi Ouzou, s’est révélée fort embarrassante pour le régime.
Ces images, filmées par un anonyme, ont eu l’effet d’une bombe et, pour tout dire, elles tombaient mal (pour Boutef IV) quand on sait que les faits se sont produits deux jours à peine après la réélection du président sortant pour un quatrième mandat.
Ces images se posent comme une pièce à conviction des plus accablantes qui ne laisse point de doute quant au caractère profondément répressif du «système». Au-delà de la «bavure» policière, elles témoignent d’une violence plus ancienne et plus profonde.
Une violence d’Etat. Elles disent le caractère coercitif et résolument fermé du «récit dominant». On n’est pas obligé d’être spécialiste en sémiologie de l’image pour y voir un abus de pouvoir et, surtout, un abus «du» pouvoir dans le monopole de la violence légitime (Weber). Un pouvoir qui bascule, sans scrupules et sans ménagement, dans la violence illégitime.
Un air de Ramallah
Depuis l’assassinat de Abane, la violence politique, on le sait, est dans l’ADN du régime. De moyen d’accession au pouvoir, elle est érigée depuis belle lurette en mode de gouvernance. Dont acte ! Par ailleurs, cette vidéo trahit le caractère pas très «républicain» d’une institution censée agir sous le magistère de la loi au lieu de servir une caste. Une nouvelle fois, les troupes du général Hamel se seront distinguées par une propension à abuser de la matraque et à «casser de l’Algérien» dès qu’il nourrit la moindre velléité de battre le pavé et d’agir en citoyen à part entière. Au final, ces images sont révélatrices de l’ampleur de la cassure, pas seulement entre les services de sécurité et la population, mais, surtout, entre le pouvoir et le peuple. Une cassure que résume cet officier de police qui nous confia un jour, dans un commissariat : «J’ai le sentiment de porter l’uniforme de la police coloniale.»
D’aucuns, en voyant ces «flics», en uniforme ou en civil, s’acharner sur un jeune homme qui ne remue plus, lui assénant des coups de pied au train et le traînant comme du gibier, ont pensé au comportement de la police israélienne face aux manifestants palestiniens, et il est difficile de leur donner tort.Cette bastonnade hystérique, administrée avec une haine démesurée à ce corps qui ne répond plus disent, en sous-texte, l’entêtement du pouvoir à vouloir dresser à tout prix la population à l’obéissance civile après lui avoir coupé tout canal d’expression pacifique et après avoir confisqué tous les espaces publics.Bien sûr, le patron de la police, le général Hamel, s’est empressé de diligenter une enquête pour faire la lumière sur ces dépassements.
Visiblement gêné, le DGSN fait une nouvelle fois de la com’, pour ne pas dire de la «politique», pour rattraper les bourdes à répétition de ses hommes. Sauf qu’il ne s’agit nullement, ici, d’une bavure «isolée». Qu’on se souvienne de Ghardaïa, du laxisme coupable de la police au moment où des voyous détruisaient méthodiquement les mausolées de Ami Saïd et autres symboles-clés de la culture mozabite.
Une attitude qui a grandement contribué à nourrir le pourrissement. Qu’on se souvienne de la brutalité avec laquelle des militants pacifiques ont été réprimés mercredi dernier à Alger. Qu’on se souvienne de toutes les manifestations non violentes réprimées dans le sang depuis les événements de 2001.
Casser la citoyenneté active
Au-delà de l’émotion et de l’indignation que ces images ont suscitées et à juste titre, celles-ci nous amènent à nous interroger sur la trame idéologique et doctrinale dans laquelle elles s’inscrivent. Ces séquences, en apparence hachées, traduisent l’échec retentissant d’un régime se revendiquant de l’histoire du Mouvement national à fédérer les Algériens autour d’un vrai projet national, d’un vrai contrat social basé sur la libre adhésion de chacun plutôt que sur la soumission de la majorité silencieuse par la force et le chantage.
Depuis 1962, le pouvoir, sous ses différents visages, se sera échiné à empêcher l’émergence d’une citoyenneté active et participative pour lui substituer une masse informe de néo-indigènes interdits de questionnement. En ramenant le problème à une simple histoire de «bavures» anecdotiques, nos gouvernants entendent le confiner dans un registre technico-sécuritaire quand il est, avant tout, question des fondements mêmes du régime de gouvernance et de pensée. Et cela nous renvoie de plein fouet à cette «violence d’Etat» dont nous parlions tantôt.
Celle-ci se manifeste dans tous les segments de la société. Comment s’étonner, dès lors, que la police agisse avec autant de hargne et de mépris ? Comment lui demander de respecter notre intégrité physique quand notre «polis», notre «ethos» et notre intégrité citoyenne sont piétinés, profanés et bafoués tous les jours ?
L’élection est vidée de son sens. L’intronisation par la fraude, l’argent sale, la manipulation de masse et l’arrogance d’un président à l’article de la mort est vécue par un large secteur de l’opinion comme un viol du corps électoral.
A quelques encablures du scrutin, des gendarmes ont débarqué dans les locaux d’Al Atlas TV, saisi le matériel de la chaîne et l’ont fermée manu militari en raison de sa position éditoriale, quand les chaînes de Mahieddine Tahkout qui, elles, pour le coup, sèment la haine et appellent au lynchage de l’opposition, continuent à émettre en toute impunité.
L’ANEP est instrumentalisée sans vergogne pour étouffer financièrement la presse «récalcitrante», comme nos confrères d’El Djazaïr News et Algérie News viennent de l’apprendre à leurs dépens. L’une des rares bouffées d’aération cathodique qui égayait notre morne paysage audiovisuel, en l’occurrence l’émission System DZ animée par notre ami Abdallah Benadouda, est tout bonnement supprimée de la grille de la chaîne de Ali Haddad au motif qu’elle se permet une trop grande liberté de ton qui n’est pas dans l’esprit de la maison.
A l’heure où nous mettons sous presse, Kadi Mohand, un militant de RAJ, et un ressortissant tunisien, Moez Benncir, qui l’accompagnait, croupissent à Serkadji pour avoir pris part à la manifestation de mercredi dernier, à Alger. Toutes ces violences successives ne pouvaient que faire le lit de la violence policière à laquelle nous assistions, impuissants, ce samedi, à Tizi Ouzou.
A force de brimer la société, de casser les initiatives, de terroriser les cadres, de réprimer l’opposition, d’étouffer les syndicats, de noyauter les associations, d’acheter les juges, de domestiquer le FCE, de surveiller les partis, de persécuter les intellectuels… qu’attendre de la police, sinon de briser les os des derniers Algériens debout ? Evidemment, le régime va encore nous seriner son leitmotiv de campagne : Printemps arabe. Ou… Printemps berbère dans le cas de Tizi. Oui. Désamorcer le printemps avant qu’il ne bourgeonne dans les têtes et ne donne des idées aux autres saisons.
Nos chers experts de la GDF (gestion démocratique des foules) n’ont donc pas encore compris que ce sont précisément ces méthodes qui ont poussé les peuples à la révolte en emportant tout sur leur passage ? Conseil tactique : un masque à oxygène, vite, sinon ce sera tous les jours le 20 Avril !