Pour la quatrième fois depuis le début de l'enquête ouverte en 2003 sur l'assassinat des moines de Tibehirine en Algérie - sept ans après leur mort -, des documents déclassifiés viennent d'être portés à la connaissance du juge antiterroriste Marc Trévidic.
Or, dans le lot, le contenu de deux notes communiquées par le ministère français de la défense, a de quoi soulever de fortes interrogations. Classée "confidentiel défense", la première de ces notes est un court télex de la Direction générale des services extérieurs (DGSE, française), datée du 25 mai 1996, et qui a pour "objet : enlèvement des moines". Il informe Paris que, "selon une information dont la première main n'est pas connue, et qui n'a pas pu être confirmée, les corps décapités des sept religieux auraient été découverts dans la région de Ksar El Boukhari", à environ 150 km d'Alger près de Médea.
Puis : "L'hypothèse avancée à l'ambassade est que les têtes des moines seront vraisemblablement "livrées" à proximité de l'ambassade, de l'évêché, ou de la maison diocésaine."
Qu'avait découvert la DGSE ?
Stupéfiant quand on sait que le communiqué des autorités algériennes sur la découverte des "cadavres" des sept moines trappistes enlevés deux mois plus tôt par un commando du Groupement islamiste armé (GIA) dans leur monastère de Tibehirine, date du 30 mai 1996, soit cinq jours plus tard. Certes, dans un message du 21 mai, le GIA avait revendiqué la mort des religieux mais personne, alors, n'était supposé connaître la macabre vérité : seules les têtes des moines avaient été retrouvées. Les corps, eux, ne le seront jamais. Il aura fallu d'ailleurs toute l'insistance du père Armand Veilleux, l'ancien procureur général des moines cisterciens, pour que les cercueils soient ouverts, le 31 mai à Alger, et que la vérité soit connue de tous. Embarrassées, les autorités algériennes avaient préféré dissimuler l'information.
Le deuxième document du ministère français de la défense daté du 4 juin 1996 fait le point sur les "rumeurs" concernant les circonstances de l'assassinat des moines, et les "doutes" sur la date exacte de leur mort. Toutes les sources ont été effacées.
Dossier sensible
Mais dans le "commentaire" qui accompagne cet inventaire, les services français écrivent à propos du mystère qui entoure le dossier : "Il pourrait s'expliquer tant par le fait que le GIA n'a pas pris la peine de transporter les corps entiers depuis leur refuge que par une tentative des services algériens de dissimuler la cause réelle de la mort des religieux". "De plus, poursuit la note, selon (un blanc), l'aviation algérienne aurait bombardé le lieu où les moines ont été assassinés, le lendemain de leur exécution. En conséquence, la présence de traces de blessures par balles ou par éclats sur les corps, s'ils étaient retrouvés, ne serait pas significative de la cause du décès des moines." Etrange assertion qui exonère l'armée algérienne. En 2009, l'ancien attaché de défense à l'ambassade de France, François Buchwalter, avait, lui, avancé la thèse d'une bavure de l'armée qui aurait mitraillé le camp par hélicoptère. Dans ce dossier sensible, suivi avec obstination par le juge Trevidic et l'avocat de la partie civile, Patrick Baudouin, aucune version ne peut être avancée avec certitude.
Mais le magistrat du pôle antiterrorisme ne perd pas espoir de pouvoir lancer une commission rogatoire internationale qui lui permettrait de se rendre en Algérie, et, pourquoi pas, de faire pratiquer une autopsie sur les têtes des sept moines, enterrées à Tibehirine - ce qui n'a jamais été fait. Le 10 octobre, il a réuni discrètement au tribunal à Paris, les familles des religieux, dont deux se sont portées parties civiles jusqu'ici, pour faire le point sur l'enquête.
Les moines de Tibehirine furent enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 dans leur monastère, au sud d'Alger.
Isabelle Mandraud