Quand les diplomates américains décrivent les Algériens comme des "analphabètes trilingues"
Yazid Slimani
WikiLeaks a achevé la publication des câbles diplomatiques américains concernant l’Algérie. Les plus "croustillants" ont fait l’objet de nombreuses reprises et commentaires dans les médias. D’autres sont passés plus discrètement, alors qu’ils en disent beaucoup sur la politique étrangère américaine à l’égard de notre pays. Les États‑Unis cherchent depuis plusieurs années à être plus présents économiquement en Algérie. Ils sont encore largement devancés par la France qui jouit d’une proximité géographique, historique, culturelle et surtout linguistique avec nous. Mais les Américains ne s’avouent pas vaincus. Ainsi, un câble daté du 16 octobre 2008 montre qu’ils comptent agir sur le plan linguistique pour se rapprocher des acteurs économiques du pays.
Dans ce câble, l’ambassade américaine à Alger dresse le bilan catastrophique mais réaliste de la politique algérienne en matière de pratique et d’apprentissage des langues. L’arabisation voulue après l’indépendance a formé une génération, « surtout les moins de 40 ans », d’« analphabètes trilingues », reprenant ainsi le constat de nombreux experts nationaux. « L’école algérienne produit aujourd’hui des diplômés qui doivent réapprendre des matières comme l’ingénierie, les sciences ou le commerce, en français pour trouver un emploi en Algérie ou à l’étranger », est‑il écrit.
« Les 20‑40 ans parlent un mélange confus de français, d’arabe et de berbère qu’un des plus importants chefs d’entreprise a qualifié "d’inutile" », ajoute la diplomatie américaine dans ce câble. D’autres chefs d’entreprises reçus par l’ambassadeur ont décrit ces jeunes comme « une génération perdue » de travailleurs. Parmi eux, Mohamed Hakem, responsable marketing et communication du groupe ETRHB Haddad, qui affirme qu’il faut un à deux ans pour rééduquer un diplômé algérien et que ce problème de langue isole la jeunesse algérienne et la rend plus vulnérable à l’idéologie extrémiste.
Plusieurs responsables algériens, dont le président de l’APN, Abdelaziz Ziari, ont ainsi fait part aux Américains de la volonté des autorités de développer la place de l’anglais dans le pays. Une langue neutre, sans le poids du passé, qui permettrait de contrer l’échec de la politique d’arabisation. Le directeur de la coopération au ministère de l’enseignement supérieur a ainsi évoqué avec l’ambassadeur américain de l’époque, David Pearce, la nécessité d’un « plan Marshall pour l’anglais ».